1Le XIXe siècle est généralement perçu comme une période de grande confusion dans la description des faits de graphie et, plus largement, des relations entre oral et écrit, tant les notions de phonème – dans l’acception moderne de ce terme – et de graphème déterminent le regard qu’on porte aujourd’hui sur ces questions. L’absence d’une terminologie linguistique unifiée séparant strictement les unités minimales propres à chaque canal de communication apparaît comme le signe d’une pensée si ce n’est inexistante, du moins incohérente. En outre, à cette période, la thématique est fréquemment abordée sous l’angle d’une opposition entre l’idée d’une prééminence de l’écrit sur l’oral en raison de la stabilité du premier et de la variabilité du second – c’est la position défendue par l’Académie française – et une forme de défiance envers l’écrit, soupçonné de trahir la langue pratiquée par les locuteurs – point de vue qui tend alors à s’imposer parmi les linguistes (Testenoire 2016).
2Si les débats houleux autour de la réforme orthographique au tournant du XXe siècle, représentés par la fameuse « bataille de l’orthographe autour de 1900 » (Catach 1963, 1965, 1966, 1967, 1971), sont bien connus, les rapports qu’entretiennent alors ces discussions avec la constitution de l’histoire de l’orthographe française en tant que champ d’étude sont plus rarement évoqués. De fait, on considère généralement la thèse de Charles Beaulieux, publiée en 1927, comme le premier ouvrage de recherche dans ce domaine. Toutefois, à partir de la fin des années 1860 apparaissent les premières tentatives de description de l’orthographe française en tant qu’objet d’étude historique (Littré 1863 [1847]). Celles-ci coïncident justement avec un regain d’intérêt pour la réforme orthographique (Raoux 1865)1, qu’elles servent à justifier et dont elles posent les bases (cf. Portebois 1998, 2006). Ainsi, il existe dès le XIXe siècle, au moment où s’impose la philologie, des analyses qui, sans distinguer unités orales et écrites sur les bases actuelles, permettent de penser la relation oral/écrit.
3Gaston Paris, alors professeur débutant, fait paraître en 1868 un compte rendu en deux parties (1868a, 1868b) des Observations sur l’orthographe ou ortografie française ; suivies d’une Histoire de la Réforme orthographique depuis le XVe siècle jusqu’à nos jours d’Ambroise Firmin-Didot (1868). Par le titre de sa recension, « De l’histoire de l’orthographe française », Paris est le premier à constituer l’histoire de l’orthographe comme un objet d’étude en soi. Parallèlement, il dispense entre 1867 et 1869 un cours sur « l’Histoire des sons de la langue française » dans le cadre des cours d’enseignement supérieur libres de la rue Gerson2. Il fait également partie des premiers enseignants de l’EPHE, établissement ouvert en 1868 dont il dirige la Conférence des langues romanes. Dans les notes manuscrites qu’il rédige pour les cours qu’il donne dans ces institutions3, l’histoire de l’orthographe n’est jamais centrale. Elle se présente comme un savoir instrumental, attaché à la phonétique historique.
4Dans le cadre d’une approche qu’on peut qualifier de « phonocentriste », alors très largement dominante, l’écriture est conçue comme une « représentation » de l’oral (Anis 1984, 1988 ; Arrivé 1993). On insiste sur son « extériorité » par rapport à la langue et sur la primauté de la langue parlée sur la langue écrite. Les graphies apparaissent comme de simples transcriptions de phonies à travers lesquelles s’exprime véritablement le sens. Le regard rétrospectif porté sur l’orthographe française aboutit, chez les réformateurs « rétrogrades » (Cerquiglini 2004), à un questionnement de type historique. Ces partisans d’une orthographe réformée idéalisent un passé, celui du XIIe siècle, où les graphies suivaient la prononciation et ils cherchent à expliquer l’abandon de ce principe d’écriture initial.
5Paris lui-même, dans les travaux précédemment cités, mène une réflexion théorique sur la nature des relations entre langue écrite et langue orale, couplée à des interrogations méthodologiques qui portent sur les variantes graphiques dans les manuscrits médiévaux, d’une part, et sur l’orthographe qu’il convient de restituer dans les éditions mo|dernes de ces textes, d’autre part. Tels qu’il les présente, l’écrit et l’oral entretiennent ainsi un double rapport d’instrumentalité et de complémentarité, tant au niveau théorique de l’analyse des unités linguistiques qu’à celui, plus pratique, de l’édition de textes.
6Outre le problème terminologique qui réside dans le choix des unités pertinentes pour décrire l’orthographe française, ce que reflète le couple lettres/sons, l’étude des relations entre écriture et prononciation révèle les difficultés théoriques que pose le traitement des discordances entre écrit et oral. Ces deux questions sous-tendent les débats sur la place accordée à la langue orale dans le travail du philologue-éditeur.
1 | Lettres et sons : quelles unités pour décrire l’orthographe française ?
1.1. Définir l’orthographe
7Le mot orthographe, dans les écrits de Paris de la fin des années 1860, est loin d’être univoque. Il revêt en effet plusieurs significations que la confrontation du compte rendu de l’ouvrage de Firmin-Didot et des notes de cours de la rue Gerson permettent d’identifier. On en relève au moins quatre, présentées dans le schéma suivant.
8Dans un premier sens, le plus général, orthographe désigne la « manière d’écrire les mots français ». Paris parle ainsi des « diverses orthographes d’un même mot », c’est-à-dire de l’ensemble des graphies attestées au Moyen Âge pour un mot donné. Celles-ci sont variables d’un scribe à l’autre. Dans un second sens, le terme comporte une dimension usuelle : il s’agit des habitudes graphiques mises en œuvre par un scribe dans un texte donné. Paris traite par exemple de « l’orthographe ordinaire des Morales de saint Grégoire, texte bourguignon du XIIIe siècle ». La spécificité du Moyen Âge est ainsi mise en évidence : à la grande latitude individuelle dont jouissent les copistes à cette époque s’oppose l’unité orthographique de l’époque contemporaine. D’ailleurs, dans une troisième acception, la notion d’orthographe est périodisée. Paris n’hésite pas à utiliser des expressions comme « orthographe du Moyen Âge », « orthographe contemporaine » ou « orthographe du XVIIe siècle ». Ainsi, l’orthographe se définit comme un système de notation valable à une époque donnée.
9Chaque notation, qui équivaut à une correspondance graphophonologique actuelle, met en relation un caractère avec un ou plusieurs sons. En atteste l’argumentation de Paris visant à montrer que le digraphe – selon notre terminologie contemporaine – <ou>4 est relativement récent en français :
examinons les plus anciens monuments au point de vue de la notation. Il faut se souvenir que le français, sans doute dès l’origine, se trouva dans une position très difficile au point de vue de la notation. L’ū latin avait pris le son u et il servait aussi bien à indiquer ce son que celui de l’ŭ, qui avait conservé le son primitif. (Paris, EPHE4PAR/051, fo 55ro)
10Une seule et même graphie peut donc représenter des sons différents. Pour autant, ces relations constituent bien un système. Paris dépasse ainsi tant l’échelle du mot, considérée dans la première acception, que celle du texte à laquelle se situe la seconde.
11Enfin, dans un quatrième sens, l’orthographe peut désigner divers types de systèmes de transcription de l’oral fondés sur différentes relations graphophonologiques, tels que l’orthographe étymologique ou l’orthographe phonétique. Cette dernière acception représente un niveau d’abstraction et de généralité encore supérieur à la précédente : non seulement la notion d’orthographe possède une valeur systémique, mais elle est en outre détachée de tout ancrage chronologique.
12La notion d’orthographe permet ainsi de tracer plusieurs perspectives que Paris intègre à ses travaux. La première porte sur les rapports entre langue orale et langue écrite ; la deuxième, sur les ruptures et les continuités entre la langue d’hier et celle d’aujourd’hui ; enfin, la troisième a trait à la fonction sociale des lettrés et, plus particulièrement, des spécialistes de l’étude des langues, dont le travail doit mettre en relation les attestations particulières et le système, envisagé de manière plus générale.
1.2. Définir les lettres et les sons
13Paris fixe deux objectifs principaux pour le cours sur « l’histoire des sons de la langue française » qu’il dispense rue Gerson en 1868-1869. Le premier est d’aborder l’écriture en tant qu’elle donne accès à la prononciation et aux sons qui constituent l’objet d’étude de la phonétique. Le second est de faire une véritable histoire des sons en mettant en série chronologique les traces laissées par l’écriture. Pour cela, il commence par poser une distinction fondamentale entre deux notions : les lettres et les sons. Toutefois, la distinction entre unités de la langue orale et unités de la langue écrite n’est pas complète. Il présente ainsi son cours à ses auditeurs.
Ce qui va nous occuper principalement cette année, c’est l’histoire des sons de la langue française, depuis les origines jusqu’à nos jours. Les rapprochements que nous avons faits jusqu’ici étaient tout matériels, et pour ainsi dire purement extérieurs ; c’était moins, à le bien prendre, des rapprochements de sons que des rapprochements de lettres. Prenant pour points de comparaison d’un côté la lettre latine de l’époque classique, de l’autre la lettre française de notre écriture actuelle, nous avons constaté que celle-ci correspondait à celle-là. (Paris, EPHE4PAR/051, fo 2ro-2vo)
14Les lettres sont des « caractères employés pour figurer les mots ». Il s’agit à la fois d’entités concrètes, graphiques, « matérielles » et d’outils pour réaliser des notations. Il apparaît donc que le sens du terme lettre chez Paris est strictement graphique. De ce point de vue, son usage du terme est bien différent de celui qu’on trouve dans les textes de la première moitié du XIXe siècle. En effet, à cette époque, chez Grimm par exemple, la lettre associait graphie et son et se définissait comme une entité abstraite mais non théorisée. La définition moderne du phonème, outre la séparation stricte entre niveaux graphique et phonique, ajoutera la théorisation à l’abstraction (Auroux, Bernard et Boulle 2000, 170).
15Dans son cours de 1868-1869, Paris parle de sons, qui constituent la phonétique. Toutefois, il ne les définit jamais véritablement. Le mot phonétique apparaît en emploi nominal dans les notes du cours de la rue Gerson de 1868-1869 dans deux sens distincts. C’est, d’un côté, une partie des études grammaticales, avec l’étude de la morphologie, de la syntaxe et du lexique ; de l’autre, le terme désigne l’ensemble des sons d’une langue, décrit par l’étude menée en phonétique conçue dans le premier sens. En revanche, quand Paris parle de sons, il ne s’intéresse pas uniquement aux aspects strictement phonétiques de la langue française, mais aussi à leurs relations à l’écrit – leurs notations – et, par suite, à l’orthographe, en particulier dans sa troisième acception, qui permet d’identifier les évolutions des systèmes de notation dans le temps.
1.3. L’exemple des diphtongues
16Voici ce qu’écrit Paris au moment d’introduire la partie de son cours consacrée aux diphtongues.
Jusqu’ici nous n’avons étudié que les voyelles simples de la langue française, entendant par là celles qui se prononcent et s’écrivent simples. Nous arrivons maintenant à ces combinaisons de voyelles qui sont dans notre langue soit apparentes, soit réelles, c’est-à-dire que nous étudierons également les diphtongues que nous pro|nonçons comme elles s’écrivent, et celles que nous écrivons seulement, les prononçant comme des voyelles simples. Ces dernières, en effet, sont dues au caractère archaïque de notre écriture : en réalité elles ont été anciennement des diphtongues, et le hasard ayant voulu qu’à l’époque où se forma notre tradition orthographique elles aient encore été diphtongues, elles se sont maintenues dans l’orthographe malgré leur disparition dans la langue vivante : c’est à ce titre que nous les étudions. […] Nous diviserons notre étude non pas d’après les sons existant dans l’orthographe actuelle ; la base ne serait pas assez solide, mais d’après les sons primitifs de la langue. (Paris, EPHE4PAR/052, fo 18ro-20ro)
17Les deux critères de définition des diphtongues, à savoir leur appartenance à l’ensemble des voyelles et le fait d’en être des combinaisons, permettent à Paris de distinguer deux types de diphtongues. Les premières, qu’il qualifie de réelles, ont un niveau de complexité à l’oral égal à leur niveau de complexité à l’écrit. Dans sa terminologie, il s’agit de combinaisons de voyelles qui correspondent exactement à des combinaisons de lettres, c’est-à-dire de caractères. On dirait aujourd’hui que ces diphtongues correspondent à des digraphes. À cette première catégorie s’opposent les diphtongues apparentes, dont le niveau de complexité à l’oral est inférieur au niveau de complexité à l’écrit. Paris considère qu’il s’agit de voyelles simples auxquelles sont associées des combinaisons de lettres. Autrement dit, il s’agit de phonèmes vocaliques simples, qu’on ne considérerait donc pas comme des diphtongues actuellement, qui sont rendus par des digraphes.
Moyen Âge | XIXe siècle |
Diphtongues combinaison de voyelles = combinaison de lettres |
Diphtongues réelles combinaison de voyelles = combinaison de lettres |
Diphtongues apparentes voyelle simple = combinaison de lettres |
18En définitive, la diphtongue se définit de deux points de vue complémentaires : historiquement, elle a été une combinaison de voyelles orales qui, même réduite à une voyelle simple en français moderne, reste jusqu’à présent identifiable en tant que telle parce que – deuxième point de vue – elle est composée d’une combinaison de voyelles écrites sur le plan orthographique. L’existence des diphtongues apparentes, qui ne sont des combinaisons de voyelles qu’à l’écrit et non à l’oral, révèle une inversion du rapport entre oral et écrit au fil du temps. En effet, Paris affirme qu’au Moyen Âge les diphtongues ont d’abord été orales avant d’être écrites et qu’elles se sont fixées dans l’orthographe, c’est-à-dire que l’oral, à cette époque, précédait l’écrit. À l’inverse, au XIXe siècle, c’est l’orthographe qui détermine la prononciation : l’écrit précède l’oral. Porter sur le passé un regard biaisé par le point de vue contemporain sur l’écrit est justement l’écueil essentiel à éviter pour qui veut étudier les sons de la langue française, écueil contre lequel Paris met en garde ses auditeurs. La reconnaissance de ce qu’on nommerait aujourd’hui « l’effet Buben » met à mal l’idée d’une conception « phonocentriste » de l’orthographe chez Paris.
19Les notions de voyelles simples, de diphtongues et, plus largement, de sons mêlent donc oral et écrit. Pour les catégoriser, il convient de prendre en compte à la fois la prononciation et l’écriture. C’est bien le rapport entre ces deux aspects qui permet de classer les sons ; or ce rapport est variable dans le temps, d’où l’importance d’une approche historique. Quant aux lettres, elles sont la trace de l’évolution des prononciations et de celle des rapports entre écrit et oral, c’est-à-dire des notations. Dans ce cadre, l’assimilation des lettres à l’écriture et des sons à la prononciation n’est donc pas opératoire.
2 | Écriture et prononciation : que faire des discordances entre écrit et oral ?
2.1. Définir l’écriture
20S’intéressant aux conceptions de la langue écrite qui avaient cours au début XXe siècle, P.-Y. Testenoire (2016) a identifié trois types de métaphores communément utilisées par les linguistes de cette époque. Toutes trois sont déjà présentes chez Paris à la fin du XIXe siècle.
21La première de ces métaphores est celle du textile. La langue écrite est présentée comme un « vêtement » qui cacherait la réalité de la langue, sa prononciation, et empêcherait qu’on l’observe. Paris formule cette idée de la manière suivante pour ses auditeurs de la rue Gerson :
nous allons essayer […] de soulever le voile que l’apparente fixité de l’écriture jette sur le courant sans cesse actif et sans cesse renouvelé qui a amené sans interruption les mots latins jusqu’à nos bouches françaises. (Paris, EPHE4PAR/051, fo 2vo)
22Paris soulève ainsi un paradoxe : bien que le problème apparent soit le travestissement de la langue parlée par l’écriture, en réalité, c’est la « fixité » de l’écriture qui fait obstacle à la connaissance phonétique. Écrit et oral diffèrent moins par leur nature, ce qui reviendrait à placer l’écrit du côté du paraître et l’oral de celui de l’être, que par leur dynamique : l’écrit est inerte tandis que l’oral est mobile.
23En ce sens, cette première métaphore est à rapprocher d’une autre : celle de la vie du langage. Quand Paris écrit : « nous allons essayer de remplacer la lettre morte par le son vivant » (Paris, EPHE4PAR/051, fo 2vo), il utilise une image récurrente au XIXe siècle (Klippi 2010) qui présente l’écrit comme un élément mortifère face à la réalité biologique, psychologique et sociale du langage et des langues, dont le changement est inexorable.
24Enfin, la troisième métaphore est celle de la photographie, dans laquelle l’écrit est présenté comme une représentation de la langue, mais une représentation trompeuse.
Il est évident en effet que l’écriture n’est pas une représentation suffisante des sons réels. […] Si par exemple le groupe de lettres eaux réveille dans la pensée du Français qui le voit écrit le souvenir du son de l’o, si l’œ de œil, l’ue de cercueil, l’eu de deuil apportent à sa mémoire l’écho d’une seule et même voyelle, il est clair qu’on ne peut comparer ce système de notation à cette écriture purement phonétique, qui serait véritablement la photographie du langage. (Paris, EPHE4PAR/051, fo 2vo)
25Paris différencie ici deux types d’écritures en tant que systèmes de notation des sons d’une langue. Le premier est l’écriture telle qu’elle existe, fondamentalement imparfaite. C’est une représentation de l’oral qui possède une logique propre, héritée du passé et qui lui confère une autonomie indue. En effet, les rapports du visuel à l’acoustique, qu’ils soient surdéterminés ou sous-déterminés, présentent des incohérences avec la transcription de l’oral. Le second type est l’écriture idéale, « purement phonétique ». Dans ce sens, le mot écriture devient interchangeable avec celui d’orthographe pris dans les troisième et quatrième sens précédemment définis. L’écriture serait alors une reproduction exacte et objective des sons réels, le résultat d’un passage sans distorsion de l’acoustique au visuel, dans un rapport biunivoque.
26Dans ce cadre, il existe une opposition entre un système d’écriture virtuel, décrit par l’analogie mimétique, et un système réel, fondé sur l’habitude, que mettent en valeur les métaphores du textile et de la vie du langage. Ainsi, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce n’est pas entre langue écrite et langue orale que se situe la principale opposition.
2.2. De l’écriture à la prononciation
27Paris se défie de la langue écrite pour deux raisons : son inertie et son « inconstance », autrement dit, sa versatilité. À ses yeux, le second phénomène est général dans l’écriture du français depuis les origines, mais il a été particulièrement marqué à la période médiévale. L’enseignant écrit d’ailleurs :
Il est bien vrai qu’au Moyen Âge l’écriture offre souvent une incroyable inconstance, et il est incontestable que c’est là une des grandes difficultés qui s’oppose à la reconstruction de la phonétique aux divers moments de cette période. Mais ce n’est pas un obstacle insurmontable. (Paris, EPHE4PAR/051, fo 7ro)
28Cette « inconstance » est elle-même complexe et se manifeste à trois niveaux. En premier lieu, elle est interne au système proprement dit puisque, comme on l’a montré plus haut, plusieurs notations peuvent correspondent au même son – on parlerait à présent de surdétermination – tandis qu’inversement, une même notation peut correspondre à plusieurs sons – il s’agit donc de sous-détermination. En deuxième lieu, le manque de cohérence s’inscrit dans le changement en diachronie. En effet, la « fixité de l’écriture » n’est « qu’apparente ». L’écriture en tant que système de notation – une des acceptions du mot orthographe – évolue, bien que lentement et de manière difficilement perceptible. Enfin, en dernier lieu, l’écriture est sujette à la variation diatopique, ce dont attestent les différences d’un dialecte à l’autre et d’un scribe à l’autre : il existe par exemple des graphies propres à la littérature en langue française écrite en Normandie. Pour Paris, l’écriture réelle représente donc la langue parlée de manière très imparfaite, par opposition à une écriture qui serait « purement phonétique ».
29Pour autant, cette imperfection n’est pas dénuée d’intérêt car la phonétique historique ne peut que s’appuyer sur la diversité des variantes orthographiques. C’est même, pour les périodes ancien|nes comme le Moyen Âge en particulier, quasiment le seul moyen d’avoir accès à la prononciation : « j’irai plus loin : cette irrégularité de l’écriture est précisément un des meilleurs instruments que nous possédions pour atteindre la parole vivante. » (Paris, EPHE4PAR/051, fo 7ro). C’est même l’absence d’unité orthographique qui fait du Moyen Âge une période particulière|ment propice à cette étude : « fort heureusement l’unité ortho|graphique, que nous avons conquise au prix de mille absurdités et de difficultés à peu près inextricables, […] y […] [a] été à peu près ignorée. » (Paris, EPHE4PAR/051, fo 7vo)
30L’écriture est donc un outil privilégié pour étudier la phonétique dans ses variations et dans ses évolutions, justement parce qu’elle est irrégulière et que sa fixité est seulement « apparente ». La méthode à adopter découle de ces deux constats : les variations orthographiques permettent de repérer les évolutions phonétiques ; ces variations sont identifiables grâce à la comparaison de documents écrits qu’il convient de mettre en série sur les plans chronologique et géographique.
Les documents écrits qui nous montrent l’hésitation dont j’ai parlé sont donc très précieux en ce qu’ils nous montrent l’époque à laquelle le son originaire, constaté par la notation précédente, a commencé à s’ébranler pour ainsi dire et à glisser dans le son qu’exprimera la notation suivante. C’est par l’observation des faits de ce genre que la phonétique historique prend de l’intérêt ; ils lui permettent de constater dans son domaine la grande loi générale de la continuité et de la marche insensible des actions naturelles. Sans ces transitions, les permutations phonétiques sembleraient être purement mécaniques et se produire avec une soudaineté capricieuse comme les transformations du kaléido|scope. (Paris, EPHE4PAR/051, fo 8ro)
31L’activité savante de Paris porte donc exclusivement sur des documents écrits. Ceux-ci sont au cœur de la méthode philologique qu’il définit pour la phonétique historique. Ils sont également centraux dans l’autre volet de son travail, complémentaire du premier : l’édition de textes anciens.
3 | Quelle place pour la langue orale dans le travail du philologue-éditeur ?
32Entre 1869 et 1903, Paris dirige la Conférence des langues romanes à l’EPHE. Il y met en application les principes sur l’utilité de l’étude des formes écrites pour la connaissance de la prononciation précédemment développés dans son cours de la rue Gerson.
3.1. Histoire des sons et graphies médiévales
33Un ensemble de notes manuscrites pour un cours sur la Chanson de Roland, datées de janvier 1875, révèle l’imbrication de ces questionnements sur la phonétique historique et des choix que Paris effectue en tant qu’éditeur. Il commente ainsi, sous forme de segments notationnels, les vers 1932 à 1939, dans lesquels Roland et Olivier appellent les soldats français à attaquer l’armée sarrasine.
Assonance en ent, mél[ange ?] de ant. – Brève histoire de ces deux sons en français : dans le Roland ils sont en train de se confondre, cependant encore assez distincts. Voy[ez] Alexis, P[aul] Meyer, Romania II. Il est curieux que cette assonance admette ain (compain main). – Provenance : a, e, + n + cons[onne] ; a + n = ain, e + n = ein. La question est de savoir si il faut 1937 recumenz ou recumant. (Paris, EPHE4PAR/082, fo 1)
34Le mot sons est ici utilisé avec une certaine souplesse. Le terme ne désigne ni des consonnes, ni des voyelles, mais bien des syllabes : /ent/ et /ant/5. De fait, le poème étant assonancé, il convient d’établir des rapports entre les différents sons qui assonent, d’une part, et entre sons et graphies, d’autre part. Ces graphies constituent bien une orthographe, mais la notion doit être entendue ici dans un double sens. Elle renvoie d’abord à la graphie médiévale, fondamentalement variable dans la tradition manuscrite de la Chanson de Roland, c’est-à-dire le deuxième sens identifié plus haut. Ensuite, dans le contexte spécifique de la pratique philologique d’édition de textes, l’orthographe est la graphie « qu’il est d’usage de lui substituer dans une édition » (Paris, EPHE4PAR/051, fo 5ro). Si cette seconde graphie, restituée par le philologue du XIXe siècle, est la plus correcte selon lui, elle n’en est pas moins distincte de l’orthographe contemporaine.
35Dans la citation ci-dessus, l’analyse de Paris s’organise en trois temps. Il observe pour commencer que si la laisse étudiée assone en /ent/, il arrive que cette assonance admette également /ant/. Ce constat l’amène à retracer l’histoire de ces deux sons en français en mettant en regard la Chanson de Roland et la Vie de saint Alexis, dans le prolongement d’une analyse publiée en introduction de son édition du second texte (Paris & Pannier 1872, 36-37). Il renvoie aussi à un article de Paul Meyer où ce dernier affirme que, initialement distincts, /en/ et /an/ tendent progressivement à se confondre (1868, 260). Pour autant, dans les deux textes envisagés, les notations de ces sons ne sont pas encore interchangeables. Dans un deuxième temps, Paris s’interroge sur la « provenance » de ces sons, leur origine, ce qu’il présente sous la forme d’additions et d’égalités qui occultent les phases intermédiaires de l’évolution : il cherche ainsi à comprendre l’assonance en /en/ du point de vue de la formation des sons qu’elle admet. Enfin, il se pose une question pratique : quelle est l’orthographe à restituer dans l’édition ?
3.2. La phonétique historique entre le manuscrit médiéval et son édition contemporaine
36Le problème du choix entre recumenz et recumant que Paris pose en 1875 n’est pas nouveau. La forme recumenz, que porte le manuscrit principal conservé à Oxford, figure dans la toute première édition du texte (Michel 1837) ; recumant, forme non attestée, est celle choisie par la plupart des éditeurs suivants (Génin 1850 ; Müller 1863). En réponse à cette interrogation, Paris défend devant ses élèves l’idée que c’est l’état de la langue à l’époque où le texte a été écrit qui doit guider l’éditeur dans ses choix. Cette méthode nécessite à la fois une maîtrise de l’histoire des sons, conformément au raisonnement développé dans ses notes de la rue Gerson, et une connaissance précise de la tradition manuscrite du texte.
37De ce point de vue, Paris se montre critique du travail d’un autre éditeur de la Chanson de Roland, Léon Gautier (1832-1897), son condisciple à l’École des Chartes où ils ont suivi ensemble les cours de François Guessard. En effet, Gautier est responsable de plusieurs éditions successives du texte, parues de manière très rapprochée (1872a, 1872b, 1872c) et dont Paris a immédiatement commencé à rendre compte dans la Romania6. Dans la première de ces éditions, on trouve la version suivante de la laisse commentée par Paris (Gautier 1872a, vol 1, 154-155).
38Si Gautier s’en tient dans cette édition à la forme du manuscrit d’Oxford, recumenz, il utilise les notes pour questionner ce choix :
Vers 1937. – Recumant. O. Le manuscrit porte recumenz. Ce couplet est en en. La meilleure forme serait recument. Car l’s et le z n’apparaissent pas dans ces 1ères personnes de l’indicatif présent. (Gautier 1872a, vol. 2, 162)
39La forme recumant, qui diffère de celle du manuscrit, résulte d’une volonté de normalisation complète de la graphie médiévale : il s’agit de la forme « régulière » de la conjugaison du verbe recomander en ancien français7, issu du latin commendare, à la première personne du singulier du présent de l’indicatif. Cependant, la forme que Gautier juge « la meilleure », à savoir recument, est encore différente. Comment justifie-t-il cette position ? Il estime, comme Génin, qu’il faudrait normaliser la terminaison verbale, les consonnes finales <s> et <z> n’étant généralement pas attestées dans ce contexte, donc erronées. En revanche, l’assonance de la laisse justifie selon lui la conservation du /en/ : il se rapproche sur ce point de Paris. La solution préférable à ses yeux serait donc une forme hybride, intermédiaire entre attestation et normalisation complète. Pour autant, dans les éditions suivantes, il choisit la forme « restituée » recumant, contrairement à Paris.
40Sous cette opposition, qui peut paraître anecdotique, se fait jour un débat sur le statut de l’éditeur (Paris 1873, 97-98). Est-ce celui qui restaure la cohérence linguistique et graphique du texte à partir d’un ensemble clos de manuscrits renfermant des erreurs ? Il ne pourrait alors se passer de créer des formes graphiques non attestées, telles celles proposées par Gautier. Ou bien est-ce celui qui choisit, parmi les formes attestées, celle qui lui paraît « la meilleure » à partir de connaissances générales sur l’état de langue dont relève le texte ? Il doit dans ce cas, comme le fait Paris, concilier la prise en compte des notations choisies par les scribes et l’exigence de lisibilité pour le lecteur contemporain8.
3.3. Positions scientifiques et enjeux politiques
41Plus largement, se pose la question de la place de l’oral, entre l’écrit médiéval et sa version écrite contemporaine. Pour Paris, l’histoire de l’orthographe est un outil pour faire l’histoire des sons, qui permet à son tour de trancher entre différentes graphies au moment d’éditer un texte. Sa méthode revient donc à s’interroger sur le texte à éditer à partir des connaissances des faits de langue, notamment des notations, pour enrichir en retour le savoir dans ce domaine. À ce titre, sa position vis-à-vis de l’édition de textes telle qu’il l’aborde dans ses notes de cours au milieu des années 1870 pourrait être qualifiée d’heuristique. Les connaissances dans ce domaine, nécessairement partielles, ne peuvent que dissuader l’éditeur d’attacher une importance excessive à l’uniformité graphique9.
42Ce point de vue diffère de la position de Gautier, qui cherche à « corriger » le texte, à le constituer (ou à le reconstituer) comme un texte acceptable. Gautier se place ainsi dans une posture d’autorité vis-à-vis des scribes du Moyen Âge et n’hésite pas à parler, dans l’introduction à son édition de la Chanson de Roland, de « l’écrivain très ignare auquel nous devons le texte d’Oxford » (Gautier 1872a, vol. 1, CXCIV). Dans cette même introduction, il revient sur la notion d’unité orthographique, centrale dans son travail et sur laquelle le point de vue de Paris a été présenté plus haut.
Tout le monde sait que l’Orthographe n’a point existé au Moyen Âge. Comme le disait spirituellement notre excellent maître, M. Guessard, “l’Orthographe est un contrat social en matière d’écriture, et il ne paraît point que ce contrat ait été signé avant le XVIIe siècle, avant Vaugelas.” Rien n’est plus vrai, et le même mot nous apparaît, durant tout le Moyen Âge, écrit de quatre ou cinq façons différentes dans un seul et même texte. Ajoutons cependant que sous ces variantes une certaine orthographe, d’origine latine, a persévéré quand même. Ajoutons surtout (et cette proposition nous paraît absolument scientifique) que, si le même mot peut revêtir quatre ou cinq formes différentes dans le même document, il en est une, presque toujours, qui est préférable à toutes les autres. C’est quelque fois [sic] parce qu’elle est la plus étymologique ; c’est, le plus souvent, parce qu’elle est dans un rapport plus exact avec le Dialecte et la Phonétique du document où elle se trouve. Eh bien ! nous avons, pour notre texte du Roland, fait notre choix entre ces différentes formes ; nous avons adopté celle qui nous a paru scientifiquement la meilleure. Nous avons enfin, s’il faut dire le grand mot, ramené notre texte à l’unité orthographique. […]
Il convient, toutefois, qu’on ne se méprenne pas sur notre but. Le voici en quelques mots : restituer le texte du Roland tel qu’il aurait été écrit par un scribe intelligent et soigneux, dans le même temps et dans le même dialecte. (Gautier 1872a, vol. 1, CXCV‑CXCVI)
43Ainsi, pour Gautier, les choix effectués par l’éditeur à l’échelle d’un texte reviennent à réduire les variantes graphiques des manuscrits en se fondant sur deux critères principaux : ses propres connaissances en étymologie, d’une part, et les diverses versions du texte, d’autre part. Éditer un texte est donc une entreprise qui vise à sortir de l’anarchie qui régnait au Moyen Âge. L’orthographe « préférable » est celle qui possède le plus haut degré de proximité avec « une certaine orthographe, d’origine latine », c’est-à-dire l’orthographe « la plus étymologique » ou la plus cohérente avec l'état de la langue dont le texte est supposé être le représentant.
44Deux différences majeures séparent la méthode de Gautier de celle de Paris. D’abord, Gautier ne traite pas des sons mais des mots. De ce fait, le sens qu’il donne au mot orthographe est distinct des différentes acceptions dans lesquelles Paris l’utilise : c’est une notion moderne – elle n’a pas existé avant le XVIIe siècle – qui se fonde sur une convention. L’unité orthographique telle que la décrivait Paris en 1868 était le résultat incohérent d’un processus mené sous l’égide de l’Académie française en particulier, qui concernait uniquement la période contemporaine et s’appliquait à l’ensemble des scripteurs du français. Il s’agissait donc d’un état de fait avec lequel il fallait composer, par opposition aux graphies du XIIe siècle, modèle à retrouver. À l’inverse, pour Gautier, toute recherche d’une logique orthographique – un système de notation – au Moyen Âge, c’est-à-dire la tâche que se fixe Paris afin de reconstituer l’histoire des sons, est vaine. Justement – deuxième point de divergence –, Gautier ne s’appuie pas sur l’histoire, autrement dit sur la mise en série chronologique de formes attestées, mais bien sur l’origine, établissant une équivalence directe entre une forme latine et une forme en français médiéval.
45L’opposition entre Gautier et Paris sur le traitement des graphies médiévales, au-delà d’une querelle entre anciens camarades d’études, possède une réelle valeur polémique. La Chanson de Roland est en effet un enjeu essentiel. En 1875, alors que Paris écrit ses notes à ce sujet pour son enseignement à l’EPHE, va paraître la quatrième édition du texte établi par Gautier, qui s’impose dans les années 1880 comme référence pour les programmes de l’enseignement secondaire et à l’agrégation de lettres. Si, comme Gautier, Paris considère que langue, littérature et nation sont indissociables, les convictions politiques des deux philologues divergent fortement. Dans un contexte marqué par la récente guerre franco-prussienne, Gautier insiste, dans sa préface à la Chanson de Roland, sur le rôle de François Raynouard dans le développement de la philologie romane tout en omettant de mentionner l’Allemand Friedrich Diez, dont Paris a traduit en français la Grammaire comparée des langues romanes moins de dix ans auparavant (Bähler 2004). Le travail de Gautier vise à créer une littérature « nationale » proprement française, non seulement par la langue dans laquelle ont été écrits les textes et par leurs sujets, censés refléter l’âme du peuple français, mais aussi parce qu’ils seraient établis selon une méthode qui ne devrait rien à l’Allemagne.
Conclusion
46Du point de vue de Paris, si la prise en compte de l’historicité de l’orthographe apparaît essentielle pour tout éditeur d’un texte médiéval, c’est que celui-ci doit concilier trois réalités :
- les graphies des manuscrits à déchiffrer et à analyser ;
- la graphie à retenir dans son édition, sélectionnée à la fois sur la base de ce qu’il sait des différentes variantes du texte et de ses connaissances en phonétique historique ;
- l’orthographe contemporaine à laquelle ses lecteurs et lui-même sont habitués.
47Les textes et manuscrits par lesquels on connaît les notations anciennes jouent un rôle crucial dans la mesure où la langue écrite, du fait de son rythme d’évolution plus lent, est partiellement autonome par rapport à l’oral. L’écrit possède en outre un caractère sédimentaire qui garde la mémoire du passé de la langue tout en portant en germe son avenir. C’est donc une source irremplaçable pour qui veut savoir comment étaient prononcés les sons d’une langue à une époque révolue qu’aucun locuteur contemporain n’a pu connaître. L’orthographe est dans cette perspective un savoir auxiliaire qui permet de construire une phonétique véritablement historique.
48Ainsi, malgré l’absence d’un cadre conceptuel stable et globalement partagé par l’ensemble de la communauté savante pour ana|lyser les relations entre oral et écrit, ce questionnement est bien présent au XIXe siècle. La terminologie et le réseau notionnel proposés par Paris pour faire l’histoire des sons, construits à partir de l’analyse des manuscrits médiévaux et mis à l’épreuve par le travail d’édition, révèlent, au-delà de l’apparente défiance vis-à-vis d’un écrit qui travestirait la langue orale ou du primat d’un écrit stable sur un oral anarchique, une réflexion sur la complémentarité et l’instrumentalité réciproque des deux canaux de communication pour la connaissance linguistique.
49Pour autant, la conscience de l’écart entre le regard du chercheur contemporain et les graphies anciennes, d’un côté, et la lucidité sur le biais qu’induit cet écart, de l’autre, amènent Paris à constituer l’orthographe française et son histoire en objet d’enseignement en deux temps : d’abord théorique, entre 1867 et 1869 rue Gerson, puis pratique, à partir de 1868 à l’EPHE, où il intègre ce savoir à la formation des philologues voués à éditer des textes en ancien français. Il considère comme complémentaires la maîtrise de l’histoire des notations et les connaissances en phonétique historique, notamment des lois qui régissent la transformation des sons. Cette double compétence, indispensable à ses yeux pour effectuer des choix pertinents en tant que philologue, révèle l’opposition entre deux modèles possibles pour les érudits qu’il forme : l’un, uniquement centré sur l’écrit et sur le texte considéré, revient à n’être qu’un philologue-éditeur ; l’autre, qui s’appuie sur la mise en relation de l’écrit et de l’oral, associe au travail du philologue-éditeur celui du philologue-linguiste.
- 1 La Suisse n’est pas en reste dans ce domaine : Édouard Raoux, professeur de philosophie à l’Académie de Lausanne, constitue en 1867 une Société phonographique et engage une correspondance avec Firmin-Didot (Catach 1985, 238).
- 2 Ces cours, autorisés par le ministre français de l’Instruction publique, Victor Duruy, mais extérieurs aux institutions que sont les Facultés, s’inspirent du modèle des Privatdozenten allemands. Sur ce point, voir (Jorge 2022).
- 3 Ces notes, sur lesquelles s’appuie le travail présenté ici, sont conservées au sein du fonds Gaston et Paulin Paris (Campus Condorcet, Grand Équipement Documentaire, EPHE4PAR/051, 052 et 082).
- 4 On a choisi de placer entre barres obliques les unités correspondant à des sons (ex : /a/) et entre soufflets celles correspondant à des lettres (ex : <a>) dans la terminologie de Gaston Paris. Cet usage ne préjuge pas de la coïncidence entre ces unités et les phonèmes et graphèmes identifiés par les linguistes contemporains.
- 5 La question de l’assonance des voyelles /e/ et /a/ suivies de consonnes nasales a beaucoup préoccupé Paris, comme le rappelle van Reenen (2016). Dans la Chanson de Roland comme dans la Vie de saint Alexis, la consonne nasale était prononcée, que la voyelle précédente soit nasalisée ou non. Il s’agit donc bien ici de syllabes et non de voyelles nasalisées.
- 6 C’est vraisemblablement à l’un de ces comptes rendus (Paris 1873) que renvoie la référence au second tome de la Romania dans les notes de Paris.
- 7 En l’occurrence, il s’agit de la variante recumander. (« recommender » in Anglo-Norman Dictionary (AND2 Online Edition), Aberystwyth University. En ligne : https://anglo-norman.net/entry/recommender.)
- 8 Paris signale une troisième méthode pointée par Gautier : « publier le meilleur de nos remaniements ». Paris estime qu’une telle édition ne serait pas critique.
- 9 Les notes de cours envisagées ici présentent l’approche de l’ecdotique de Paris sous un éclairage moins dogmatique que ne le dit l’histoire traditionnelle de la philologie. Comme le soulignent Baker et Greub (2018, 73), « l’unité de la méthode pendant la période n’existe pas » et Paris lui-même est concerné.