1 | Textes, formats, supports, dispositifs, pratiques
1L’écriture est un objet d’étude complexe : il s’agit à la fois d’une institution parmi d’autres structurant nos sociétés ; d'un système de signes dont la nature varie selon les cultures (phonographique, idéographique, pictographique…) ; d’une pratique d’inscription impliquant une technique, un support et un format (cf. infra). Ces trois acceptions du terme « écriture » participent de ce que nous pouvons appeler une « culture graphique ». Nous entendons par cette expression l’ensemble des façons de produire, d’interpréter, de diffuser, de s’approprier les écrits propre à une certaine époque, car leur production, interprétation, diffusion et appropriation n’appartiennent pas à la sphère des activités individuelles, mais à celle des activités collectives. En effet, chaque culture graphique dépend de l’ensemble des « habitudes ou aptitudes apprises par l’homme en tant que membre d’une société1 » (Lévi-Strauss 1969, 180-182) dans un contexte médial donné (Bolter et Grusin 1999).
2L’écriture, considérée en tant que technique d’inscription de signes sur une surface, suppose d’analyser la relation entre matières, supports et formats d’inscription. La relation entre ces trois composantes de l’écrit définit leur valeur à une certaine époque. Pour clarifier ces concepts, nous entendons par matière la composante non formée2 qui est utilisée comme support d’inscription ; par support l’objet, plus ou moins complexe, qui permet d’inscrire les signes dans un « espace graphique » (Christin 1995) ; par format la modalité d’inscription des signes dans l’espace graphique. L’interaction de ces trois composantes façonne l’écrit et caractérise une culture graphique (cf. Gardey 2008).
3Prenons l’exemple notoire des calculi, autrement dit les « cailloux » dont se servaient les Elamites et les Sumériens, anciennes populations de Mésopotamie, pour enregistrer leurs opérations comptables. « Ils se distinguent les uns des autres par leur forme (bille, disque, bâtonnet, cône, etc.) et par leur valeur numérique, qui nous est souvent inconnue. Pourquoi des nombres ? Parce que compter et dénombrer étaient devenus des actions indispensables à des sociétés qui avaient vu leur population croître, s’étaient urbanisées, hiérarchisées et développaient des échanges à moyenne et longue distance. » (Herrenschmidt 2005, 17).
4Les calculi étaient des bulles d’argile, creuses, servant d’enveloppes pour des « jetons » de tailles et formes différentes selon la valeur qui leur avait été attribuée (cf. Schmandt-Besserat 1992), et scellées par un sceau représentant le propriétaire de la marchandise que ces bulles accompagnaient. « Le processus de l’invention se fonde sur l’emploie de l’argile : matière commune qui dans sa souplesse malléable et son aptitude à durcir en séchant ou en cuisant, évoque l’idée même de création dans plus d’une culture. » (Herrenschmidt 2005, 17). Ces bulles servaient de système de contrôle (l’équivalent d’une facture aujourd’hui) : quand un berger partait avec un troupeau, par exemple, il devait retourner avec le même nombre de bêtes indiqués par la bulle, et le contrôle consistait à casser la bulle pour calculer la valeur des jetons contenus (cf. Herrenschmidt 2005, 18). Plus tardivement, vers 3300 av. J. C., on a commencé à afficher le contenu sur les bulles, c’est-à-dire qu’on inscrivait sur la surface la valeur correspondante aux jetons protégés, ce qui a rendu progressivement inutile le format de l’enveloppe : en effet, il suffisait désormais de tracer sur la surface du support les signes correspondant à la valeur des jetons contenus à l’intérieur pour pouvoir connaitre la valeur de la marchandise, et d’inscrire le sceau du conteneur pour indiquer le propriétaire. L’argile était une matière ductile, donc manipulable sans effort, repérable à moindre coût4, et qu’on pouvait effacer facilement une fois que le texte avait accompli sa fonction, en la ramollissant dans l’eau, et en pouvant ainsi être réutilisée plusieurs fois. En revanche, une fois cuite, elle pouvait rendre le support plus résistant et durable. La propriété ductile du support, sa matière, facilite ensuite le changement de format : on commence ainsi à abandonner les bulles creuses tout en aplatissant le support ; au lieu de contenir des signes numériques à l’intérieur (les jetons), on les inscrits directement sur la surface (les chiffres), et on peut éventuellement en ajouter d’autres comme, par exemple, des pictogrammes représentant la marchandise.
On eut l’idée de rendre visibles, à côté de l’empreinte du sceau, les calculi toujours enclos : sur la surface de la bulle, on en représenta plus ou moins bien la forme et presque toujours exactement le nombre. Ce sont là les premiers signes écrits, traces ombreuses, encoches ingrates, et chiffres néanmoins. Puis le creux de la bulle devint inutile et la tablette apparut : plaquette plus ou moins épaisse d’argile, où se laissent voir sur les unes des chiffres, sur les autres des chiffres et des signes pour les unités de la langue, des logogrammes, signes pour des mots. C’étaient des documents comptables, la plupart avec des totaux. (Herrenschmidt 2005, 18-19).
5Ce changement entraîne également une transformation des signes inscrits, dont la forme s’adapte de plus en plus au traçage. Progressivement, les tablettes prennent le dessus sur les bulles. Et les chiffres sur les jetons. Le support entraîne ainsi la disparition d’un format d’inscription et la naissance d’un autre5. La relation entre support, format et texte est extrêmement complexe à démêler6.
6Le support est à la fois ce qui fait exister un texte et ce qui peut entraîner sa disparition. Le terme latin supportare dont il est issu (composé de sub « sous » et portare « porter ») veut dire à la fois porter sur soi, transporter, ainsi que soutenir, appuyer, relever. Support est en effet tout objet qui en soutient un autre7.
7Toutefois, au sein d’une culture graphique, le support n’est pas seulement un présentoir matériel du texte, mais un dispositif qui en assure la présence, la circulation et l’exploitation (cf. Jeanneret 2005, 51). Pour préciser, nous entendons la notion de dispositif dans une acception large qui englobe celles de support et format, car représente l’ensemble des conditions de production, lecture, interprétation, circulation et appropriation des textes au sein d’une culture graphique donnée déterminant les pratiques textuelles possibles. « Quand on passe du concept de support à celui de dispositif, on change de priorité et d’échelle. Le premier focalise majoritairement l’attention sur l’interrelation entre l’énonciation éditoriale, les pratiques discursives et opératoires, le second focalisant l’attention sur les environnements social, économique, technique, politique et médiatique dans lesquels les supports et les textes s’inscrivent. » (Mitroupoulou et Pignier 2014, 21). Pour cette raison, participant du dispositif d’écriture et de lecture des textes, le changement de supports entraîne le changement de pratiques textuelles.
8Franklin (2002) propose de différencier les écrits en relation à leur fonction. Il définit écrits primaires (primary writings) les supports dont la fonction principale est d’être porteurs du texte qu’ils présentent (tablettes, rouleaux, codex, etc.), alors que les écrits secondaires (secondary writings) concernent les supports dont l’écrit n’est pas le but principal, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas été fabriqués seulement pour être supports de l’écrit (monnaies, sceaux, figurines, etc.) ; enfin, les écrits tertiaires (tertiary writings) concernent les supports qui existaient déjà et qui, à l’occurrence, peuvent devenir porteurs d’écrits primaires ou secondaires (murs, ustensiles, tissus, etc.).
9En revanche, Pàstena (2009) propose de différencier les supports par rapport aux techniques d’inscription, en distinguant entre inscriptions constituées de supports gravés (pierre, métal, bois, etc.) et manuscrits constitués de supports écrits manuellement (au calame, au pinceau, à l’encre, etc.). Il faut ajouter à ces deux catégories celle des impressions constituées de supports imprimés typographiquement et celle des numérisations constituées de supports enregistrés numériquement.
10Nous ne proposerons pas de regroupements ou classements, mais nous nous pencherons tout particulièrement sur la relation entre les supports, les matières et les techniques d’inscription pour comprendre les enjeux de cette interaction sur la production, l’interprétation et la diffusion des textes.
2 | Les supports d’écriture entre matières et dispositifs
11Le support est intimement lié à la matière dont il est constitué. Tout changement de matière entraîne un changement de support. « Materia — le mot est issu de mater, "la mère" — signifie la substance dont est faite la mater, le tronc de l’arbre considéré en tant que producteur de rejetons » (Breton-Graveau et Thibault 1998, 12). Ce lien entre la matière et la création revient notamment dans certaines cultures graphiques (cf. infra).
12Supports et matières fonctionnent de manière symbiotique pour préparer les textes aux différents usages. Autrement dit, certaines matières permettent certains usages auxquels les supports prédisposent. En effet, ce qui décide de la longévité d’un support dépend à la fois de la matière dont il est constitué et de l’usage dont il est porteur. De la même manière, ce qui décide de l’abandon d’un support dépend autant de la caducité de la matière que du changement d’usage des textes dont il assure la circulation. Le support est donc au carrefour entre matière et usage. Ceci détermine à la fois son pouvoir et sa vulnérabilité. « L’étymologie du mot support nous renvoie significativement à ce tiraillement entre la "perte" et la construction d’une représentation : le vocable latin supportare dont il est issu indique en effet l’idée d’"apporter de bas en haut", de "transporter en remontant", d’où celle de "soutenir", d’"encourager", mais aussi de "subir sans réagir", de "tolérer" » (Breton-Gravea et Thibault 1998, 12). La valeur des supports dépend alors de la relation entre les matières et les usages. Parmi les nombreuses matières utilisées, certaines deviennent « spéciales » en relation à leurs usages à une certaine époque. Leurs valeurs se transfèrent ensuite aux supports et, par leurs biais, aux textes que ces supports accueillent. Voici des exemples.
13On grave sur la pierre les noms des dieux, des empereurs, des rois pour restituer à travers la résistance de la matière la durée, et donc la solennité, du message8 ; ou encore le nom des défunts dont on veut éterniser la mémoire, en faisant ainsi de la pierre le matériau de la proclamation comme de la commémoration. Sur la pierre on grave également les lois fondamentales ou les textes fondateurs sur lesquels se construit une société, en donnant au support le pouvoir de rendre institutionnel un écrit exposé dans un espace public. La relation entre le texte et la pierre concerne donc à la fois 1) la mémoire (éterniser l’écrit pour dépasser la mort) ; 2) l’institution (publier l’écrit pour dépasser l’individu) ; 3) l’autorité (valoriser l’écrit pour dépasser le contexte). Comme le montrent les restes des villes grecques et romaines arrivés jusqu’à nous, la pratique de l’inscription sur pierre témoigne des efforts de construction et de structuration d’une société qui nécessite d’afficher ses propres lois et ses propres fois pour pouvoir s’organiser. La résistance de la matière9, comme c’est le cas pour la pierre, oblige alors à adopter certains formats plus facile à graver que d’autres, comme les lettres capitales pour les inscriptions10.
14En revanche, une tablette de bois, creusée, pouvait être induite de cire (tabella), ensuite gravée à l’aide d’un petit bâton de bois ou d’ivoire, pointu d’un côté et plat de l’autre afin de pourvoir effacer les signes pour réécrire de nouveaux signes (cf. Lalou 1992)11. En outre, plusieurs tablettes, liées ensemble avec un fil, pouvaient former un codex (ou codicillus) d’où, selon certains, dérive le support homonyme. À travers des perforations produites sur un côté, elles peuvent également être protégées, mais la matière de l’écriture empêche l’inscription de textes faisant autorité.
15De manière semblable, on inscrit sur le métal — que ce soit l’or, l’argent ou le bronze — un texte souvent rendant hommage au destinataire de l’inscription. Que ce soit sur une plaque, une pièce ou une bague, et selon la rareté du métal utilisé, le support suggère au destinataire la valeur du texte inscrit. Prenons l’exemple du célèbre « rouleau de cuivre » (3Q15) faisant partie des manuscrits de la mer Morte retrouvés à Khirbet Qumrân dans la grotte n°3 (dont sa dénomination). Écrit en hébreu intermédiaire (une variation linguistique qui se situe entre l’hébreu biblique et l’hébreu mishnaïque), ce rouleau est également connu comme l’« inventaire d'un trésor caché » car il s'agit effectivement d'un inventaire d'objets d’une grande valeur — or, argent, encens, vêtements précieux — qui ont été cachés dans différents lieux de la région. Le rouleau contient notamment des indications pour pouvoir les retrouver. Selon l’analyse paléographique conduite par Franck Moore Cross, connaisseur des manuscrits de Qumran, le rouleau date de 25-75 de notre ère. Comme le montrent les spécialistes ayant étudié ce manuscrit (Wise, Abegg, Cook 2003), l’écriture est typique de celle des inventaires et le support correspond aux usages de l’époque, car le cuivre était utilisé pour sauvegarder les documents non-littéraires (lois, ordres, actes). « Le cuivre était avec le bronze, les supports courants favoris pour consigner les archives des temples au cours de la période romaine » (Wise, Abegg, Cook 2003). En effet, alors que les rouleaux s’écrivaient normalement sur des supports en cuir ou en papyrus, ce rouleau est gravé sur du cuivre pour mieux résister aux intempéries et aux aléas de la conservation. Caractéristique intéressante : l’écriture comporte des fautes, et plus particulièrement des erreurs concernant la forme des lettres. Une hypothèse créditée est que le graveur ne savait pas écrire, raison pour laquelle à plusieurs reprises grave au stylet des lettres ayant une forme proche de celle des lettres qui auraient dû être gravées à leurs places dans le mot. Alors que le cuivre favorise la conservation, ceci empêche la diffusion du texte : le graveur, ne connaissant pas l’écriture, n’aurait pas pu partager les informations contenues dans le texte.
16Pris entre matière et usage, à travers les supports la valeur de la matière peut être transférée au texte. Un exemple notoire est constitué par les ὄστρακα (ostraka), terme désignant au départ la coquille d’huître en grec ancien, identifiant à présent des morceaux de poterie en argile ou des éclats de calcaire qui, ne pouvant plus être utilisés, étaient récupérés comme remplissage dans les constructions ou, en ce qui nous concerne, comme supports d’écriture éphémères : votes, brefs rapports (administratifs ou militaires), reçues de paiement, formules, documents peu importants comme des listes, des lettres, mais aussi des brouillons, des aide-mémoires, des jeux, et plus rarement de la littérature. Ces usages étaient répandus en Egypte (cf. Cuvigny 2006), dans le Proche Orient, mais aussi chez les Grecs et les Romains. Les textes inscrits sur les ostraka étaient brefs, en raison de la taille des pièces, et fonctionnels, en raison de la moindre valeur de la matière. Les ostraka ne coutaient rien, mis à part l’effort de récupération, raison pour laquelle abritaient des textes ayant une valeur fonctionnelle, ce qui permettait de détruire le support après l’usage ou de le récupérer à nouveau comme matériau de remplissage. Il est notoire que le terme « ostracisme », identifiant le bannissement de la société d’un de ses membres, était une pratique grecque liée à ces supports d’écriture (cf. Lang 1990). À Athènes, on pouvait bannir de la ville une personne dont le nom était écrit par les membres de l’assemblée sur un ostrakon, ensuite prononcé à haute voix, pour l’éloigner de la ville. De nombreux ostraka montrant cette pratique ont été retrouvés à Athènes. Ce qu’il faut rappelait est que la matière de ces supports ne décidait pas seulement de la pratique d’écriture éphémère (le vote), mais également de la pratique sociale associée (le bannissement). En effet, ce matériau était facile à graver lisiblement, mais cette gravure n'était visible et lisible que pendant un certain temps. La pratique sociale du bannissement finit par être normée par la pratique d’écriture. En effet, la disparition de cette gravure marquait la fin du ban. Une fois l’écrit rendu invisible, et donc illisible, la personne concernée était rappelée et pouvait retourner dans la communauté dont elle avait été bannie.
17Prenons un autre exemple : la calebasse. Il s’agit d’un fruit ressemblant à une grosse courge dont la partie sphérique, vidée et séchée, sert de récipient, de caisse de résonance, ou de support d’écriture en certaines zones d’Afrique. De par sa forme sphérique, et par le fait qu’elle contient des graines qui peuvent se transformer en germes, la calebasse acquiert une valeur symbolique en raison de la relation qui s’instaure entre sa forme, qui évoque le ventre de la mère, et le concept de création. Contenant par excellence, matrice maternelle, métaphore du placenta (dont le liquide qui contient les fruits évoque celui qui contient le fœtus), la surface de la calebasse, recouverte d’écritures, porte les signes de la création. Inscrire sur la calebasse des figures, des symboles concernant le ciel, la terre ou les hommes, équivaut à évoquer les gestes créateurs de l’univers (cf. Dalby 1986 ; Goody 1994 ; Botoyiyê 2010). La valeur symbolique de la calebasse ne concerne pas seulement l’usage de sa surface quand sa forme est intacte, mais elle se transfère également à son usage en tant que support d’écriture même une fois cassée, ayant donc perdu sa forme originale. En effet, malgré cela, la calebasse reste une matrice de signes12.
18Toutefois, il peut arriver l’inverse, c’est-à-dire que la valeur du texte puisse être transférée à la matière. Nous évoquons à ce propos l’exemple des tablettes sur lesquelles les apprentis écrivent les versets du Coran, qu’ils peuvent effacer avec de l’eau, mais à condition de la boire ensuite. L’idée de boire les mots du Coran repose sur l’identification entre la valeur du texte et la valeur de la matière dont on se sert pour l’inscrire14. « Une fois la planchette ornée du texte sacré, l’élève en essaie la lecture devant le maître ; s’il parvient à lire sans faute un côté de l’alluha, il est autorisé à laver la planche : l’eau sera conservée avec précaution et donnée à boire aux plus jeunes, en accompagnement d’une bouillie de mil, pour faciliter leur apprentissage et les rendre intelligents15. »
19Pour résumer, nous proposons une synthèse concernant la corrélation entre supports, matières16 et textes qui repose sur deux critères : 1) la résistance de la matière d’inscription et 2) l’importance du texte inscrit.
Matière resistante | Matière non resistante | |||||||
Text important | Pierre (incassable, impérissable) | |||||||
Os (incassable, impérissable) | ||||||||
Coquille (incassable, impérissable) | ||||||||
Métal (incassable, impérissable) | ||||||||
Argile (cassable, impérissable) | ||||||||
Parchemin (incassable, périssable) | ||||||||
Soie (incassable, périssable) | ||||||||
Tissues (lin) (incassable, périssable) | ||||||||
Papyrus (cassable, périssable) | ||||||||
Papier (cassable, périssable) | ||||||||
Bois (cassable, périssable) | ||||||||
Feuilles (effaçables, périssables) | ||||||||
Texte non important | Cire (effaçable) |
20Prenons un dernier exemple issu des pratiques d’écriture touarègue. Les caractères tifinagh, terme désignant les signes dont se compose l’écriture touarègue, peuvent être tracés sur des supports différents, fixes ou mobiles, selon la disponibilité des matières et l’usage des textes dans un contexte donné. Ces caractères sont fortement géométriques, composés de lignes, de cercles et de points, formes qui peuvent être facilement reproduites avec des outils simples sur des supports très variés (Gauthier et Gauthier 2003). En effet, il s’agit d’une écriture née au sein d’une culture nomade (cf. Camps, Claudot-Hawad, Chaker, Abrous 1996). Le nomadisme, représentant le dispositif d’écriture, constitue la dimension matérielle déterminant certaines caractéristiques de cette écriture (cf. Bakrim 2005). Parmi les supports fixes, les scripteurs peuvent utiliser le sol, les arbres, les parois ; parmi les supports mobiles, le papier, les feuilles, les bois, etc. Toutefois, pour qu’on puisse inscrire des signes simples sur le sol, la résistance de la matière doit pouvoir se plier aux outils les plus différents dont on peut disposer, dont les doigts. En effets, les touaregs sont connus pour écrire sur le sable. Leur écriture exclusivement consonantique, combinée à l’absence de segmentation entre les signes, ainsi qu’à la liberté du choix d’orientation de la ligne d’écriture de la part des scripteurs, rendent le déchiffrement difficile. Dans ces pratiques d’écriture, les gestes du scripteur et l’orientation de son corps par rapport à l’espace graphique interviennent alors dans l’interprétation du texte : certains signes, outre leur valeur phonétique, acquièrent alors une valeur morphologique liée à la position qu’ils assument dans l’espace d’inscription déterminé par un support fragile et éphémère comme le sable. La composante fortement contextuelle de ces textes dépend de la fragilité de la matière dont se composent les supports d’écriture. Autrement dit, le support d’écriture assure le lien entre les caractéristiques de la matière disponible et le format des signes graphiques adopté pour assurer le bon usage des textes produits dans un contexte donné.
21Ceci devient évident avec le dispositif d’écriture que nous connaissons sous le nom d’imprimerie. En effet, le papier se révèle être la matière idéale pour l’impression en raison de ses caractéristiques : souplesse, résistance, uniformité (Febvre et Martin 1958, 39-40). En outre, l’invention des caractères mobiles, d’abord en bois, ensuite en plomb, oblige à ajuster la relation entre les matières utilisés pour inscrire et le dispositif d’écriture mis en place, l’impression. Le rapport au support subit ainsi une double médiation : ce n’est plus seulement l’outil (crayon, stylet, etc.) qui s’interpose entre la main et le support pour inscrire dans un geste des signes sur une matière, mais l’engin qui re-produit ce geste d’inscription à travers un outil (poinçon, presse, etc.) qui s’interpose entre la main qui active la machine et le support qui reçoit son mouvement pour inscrire dans un geste dé-doublé des signes sur une matière. « Les "machines à écrire" impliquent une projection [du signe] ainsi qu’une pression d’une matière sur une matière, ou une érosion, via des outils : la main, le doigt, la bouche, le sceau, le "tupos", le graveret de la gravure lapidaire, le crayon, les claviers, les brosses des estampages, les tampons qui frappent. » (Berthier 2005, 66). La mécanisation du geste d’inscription devient ainsi un moyen puissant : en même temps, la main est émancipée du geste de l’inscription et le support est libéré de l’emprise de la main. En éliminant l’effort, la mécanisation de l’inscription rend le geste facile à reproduire, et par conséquent les supports faciles à inscrire. La voie vers la reproduction des écrits à grande échelle est ouverte. « Un monde s’invente parce que le rapport au monde, le mode d’agir, les possibilités d’intervention sur le monde sont transformés : ces médiations mécaniques et de papier, ces ordonnancements, ce tramage chiffré, ces quadrillages reconfigurent les formes d’activité, permettent de les redéployer et produisent une grandeur nouvelle du capitalisme et du gouvernement. » (Gardey 2008, 8). L’introduction du papier a ainsi changé de manière irréversible les sociétés qui l’ont adopté.
3 | Les supports d’écriture entre matières et textes
22Les supports d’écriture font exister les écrits, tout en permettant leur circulation et leur manipulation pour qu’ils puissent être lus et transmis. Ils relient les textes aux matières dont ils se composent et aux usages dont ils font l’objet, en les faisant rentrer dans des pratiques. Toutefois, cette possibilité est soumise à une double contrainte : celle de la matière, dont la fragilité remet souvent en question la capacité de circulation et de transmission des écrits ; celle de l’usage, dont la complexité peut compliquer leur lecture et leur transmission.
23Prenons l’exemple du papyrus17, matière dont dérive le mot « papier »18. La préparation du support était laborieuse, car la matière n’était pas facile à traiter : il fallait d’abord ramollir les feuilles (la matière), ensuite battre énergiquement l’ensemble des lamelles pour obtenir une seule feuille (le support) (Benazeth 1982, 351). Ensuite, une fois séché, le papyrus pouvait être façonné pour l’écriture. Prenons, par exemple, les pratiques des scribes égyptiens.
Le scribe emplissait d’abord le début de la face interne du rouleau, qu’il déroulait à partir de la droite ; c’est pourquoi on appelait "recto" cette face, où les fibres étaient disposées horizontalement. En hauteur, le format de la feuille correspondait à la taille de la cuisse du scribe, qui écrivait en position assise, en tailleur ou en appui sur un genou relevé. Il rangeait son matériel dans une "palette à écrire" qu’il transportait avec lui. Les calames étaient faits de roseaux dont l’extrémité était écrasée ou mâchonnée afin de prélever plus facilement les encres noire et rouge, cette dernière étant réservée aux dates et aux têtes de chapitres, d’où l’origine de notre mot "rubrique" (du latin ruber, rouge). (Breton-Graveau et Thibault 1998, 84)
24Cette pratique est bien montrée dans les scènes de récolte présentes sur la Tombe de Menna (Charles K. Wilkinson, ca. 1400-1352 av., Thèbes; Musée égyptien du Caire).
25Toutefois, puisque le papyrus était un support coûteux, pour apprendre à écrire les scribes utilisaient au quotidien d’autres supports20. En effet, durant de longues années d’apprentissage, les scribes devaient faire des exercices de répétition nécessaires à la mémorisation des hiéroglyphes, ils devaient copier et recopier des textes classiques ou bien écrire les textes dictés par leurs maîtres. Des supports moins onéreux en temps et en coût de préparation étaient donc nécessaires à ces pratiques quotidiennes. Les apprentis scribes utilisaient donc des morceaux de poterie ou des éclats de calcaire, ou encore des tablettes de bois couvertes de stuc, lavables et réutilisables plusieurs fois.
26Le format d’inscription sur papyrus le plus répandu était le rouleau21. Il était composé de plusieurs feuils collées ensemble pour former, justement, un rouleau. Comme le rappelle Pàstena (2009) en décrivant les rouleaux grecs, chaque feuille était numérotée dans la partie haute, ce qui permettait le repérage du texte par deux numéros : l’un du volume dont il fait partie, quand le rouleau était composé de plusieurs volumes (τόμος) ; l’autre de la feuille sur laquelle il est inscrit (κόλλημα). L’écriture s’organisait en colonnes transversales par rapport à la longueur du rouleau. Le côté long du rouleau était donc composé de colonnes d’écriture homogènes, c’est-à-dire composées d’un nombre22 égal de lignes d’écriture (cf. Capasso 2005, 96-97). Chaque colonne (appelée σελίς) s’enroulait sur les précédentes, en cachant le texte au fur et à mesure qu’on déroule. La manipulation du rouleau se faisait à travers un outil ayant la forme d’un petit bâton qui, collé à une extrémité, permettait d’enrouler et de dérouler l’ensemble23. Le rouleau terminait par une étiquette permettant d’identifier le volume24, affichant le nom de l’auteur et le contenu du rouleau (en latin, index ou titulus). Dans les rouleaux latins, la pratique d’enrouler et dérouler le support a déterminé l’introduction de deux éléments importants : 1) le titre de l’œuvre introduit au début du texte à travers la formule « Hic incipit liber… », ce qui a donné naissance au titre de l’œuvre affiché dans le frontispice des livres imprimés ; 2) la clôture de l’œuvre introduite par la formule « Explicitus (est) liber… » rappelant l’acte achevé du déroulement du rouleau identifié par la suite. Enfin, les rouleaux composés de plusieurs volumes pouvaient être liés ensemble ou enfermés dans des boites cylindriques, d’où le mot bibliothèque. Le rouleau préserve cette structure même au passage du papyrus au parchemin. En effet, la combinaison entre fragilité de la matière utilisée, difficulté d’approvisionnement et coût de préparation du papyrus, sont parmi les raisons du déclin progressif de ces supports.
Le sort du papyrus comme support d’écriture est directement lié à la forme que revêt le livre pendant une bonne partie de l’Antiquité. Si l’on excepte les écrits occasionnels couchés sur d’autres supports, l’Égypte ancien, l’Antiquité classique grecque et romaine ne connaissent que le rouleau, où le texte est disposé en colonnes alignées perpendiculairement à la longueur du rouleau. C’est sous cette forme que sont conservées, à Alexandrie par exemple, les œuvres antiques, un rouleau de papyrus de taille moyenne pouvant contenir un ou deux livres d’Homère, ou une œuvre tragique. Avec le remplacement progressif du rouleau par le codex à partir du deuxième siècle de notre ère, les feuilles de papyrus doivent être pliées en cahiers, une opération qui fragilise le support. Le parchemin s’impose dès lors peu à peu pour devenir majoritaire avec le codex. Totalement éclipsé comme support de l’écriture dès le début du Moyen Âge, le papyrus tombe alors dans un oubli profond. Le vecteur originel de textes aussi décisifs pour l’histoire culturelle du monde occidental que les dialogues platoniciens ou les traités scientifiques alexandrins s’efface devant le contenu qu’il véhicule. Cet effacement n’est toutefois pas sans conséquence sur les textes eux-mêmes, qui, en changeant de support, ont été soumis à une impitoyable sélection, à une destruction massive. (Christian Förstel in Breton-Graveau et Thibault 1998, 90)
27Le parchemin26 intervient ainsi pour remédier à la vulnérabilité du papyrus. Comme le rappelle Pàstena (2009, 73), Pline l’Ancien raconte que Ptolémée V, roi d’Egypte, avait empêché l’agrandissement de la bibliothèque d’Eumène II, roi de Pergame (197 à 159/158 av. J.-C.), en lui empêchant d’acheter du papyrus ; ainsi, pour contourner cette interdiction, il a eu l’idée d’utiliser des peaux d’animaux non tannées pour en tirer des supports de dimensions variées, dont le nom « parchemin » dérivant directement de la ville (Pergame)27. Support coûteux en termes de fabrication, le parchemin est alors souvent réutilisé : on effaçait le texte en grattant à nouveau la surface d’inscription pour inscrire un texte nouveau. Pour effacer la première écriture (scriptio inferior), il fallait immerger le support pour une nuit dans le lait, le laver à l’éponge, le sécher, ensuite le lisser à nouveau avec une pierre ponce pour éliminer les dernières traces d’encre, enfin le préparer pour accueillir le nouveau texte (scriptio superior). Le principe du « palimpseste28 » s’installe : un texte chasse l’autre, tout en restant caché en dessous. Support solide en termes d’utilisation, le parchemin rend l’écrit plus résistant, et donc plus durable. C’est la raison pour laquelle on recopiait sur parchemin certains textes parus sur papier. Le parchemin mettait donc à l’abri les écrits de la vulnérabilité du support.
Au commencement de l'âge typographique, dans son Eloge des scribes, Jean Trithème29 recommandait à ses moines de recopier sur parchemin les livres imprimés, grandement menacés, leur expliquait-il, du fait de leur abondance et de leur facile reproductibilité mécanique. Le manuscrit était rare et précaire, donc entouré de mille soins. Multipliable à peu de frais et à peu d'efforts, le livre imprimé risquait, lui, d'être abandonné sans scrupules aux ravages cumulés du temps, des barbares et des rongeurs. La culture allait partir en lambeaux de chiffons tachés par l'encre indélébile de l'apprenti-sorcier de Mayence. (Durand 1998/99, 143)
28Le parchemin est obtenu en traitant des peaux de moutons, et ensuite — pour répondre à une demande pressante — également de chèvres, bœufs, veaux, parfois de chevaux, qui étaient nettoyées de la graisse et des saletés, trempées dans la chaux, rasées, trempées à nouveau, grattées et lissées à la pierre ponce, tondues, séchées, enfin prêtes pour accueillir des textes inscrits au calame ou à la plume (Rotili 1990, 87-88)30. Le traitement de la matière pour la préparation du support est onéreux. C’est la raison pour laquelle le parchemin finit par unir symboliquement résistance de la matière et autorité du texte, car ce qui était important devait être inscrit sur un bon support : contrats, décrets, autorisations, chartes, actes, etc. les documents officiels rédigés sur parchemin survivent à l’arrivée du papier. Toutefois, le parchemin n’est pas vraiment invulnérable, car sa qualité et sa résistance dépendent des traitements subis. Il fallait donc souvent les réparer31.
29Le parchemin s’installe alors, en prenant progressivement la place du papyrus, produit et utilisé en Egypte jusqu’au Xe siècle et en Sicile jusqu’au XIe siècle. L’usage du parchemin se répand en Europe occidentale autour du VIIIe siècle, et ce passage se met en place en même temps de celui du rotulus (rouleau à déroulement vertical plus marginal) ou volumen (rouleau à déroulement horizontal qui disparaît au IVe-Ve siècle) au codex32 (ensemble de feuillets pliés, assemblés, et cousus en cahiers). La préparation du codex de parchemin supposait une attention toute particulière à la mise en place des cahiers, car il fallait garder le parchemin « côté chair » (jaunâtre) ou « côté poil » (blanchâtre) sur la double page pour ne pas avoir deux pages de nuances différentes (cf. Gilissen 1978). Ces supports cohabitent pendant longtemps. En effet, nous pouvons trouver des parchemins à la fois sous la forme de rouleaux et de codex.
30Le processus de valorisation de la matière, poussé au paroxysme, aboutit finalement à la fabrication du vélin33, un parchemin très fin, blanc et souple, obtenu par le traitement de la peau d’un veau mort-né. La finesse de la matière et la délicatesse des procédés de fabrication font augmenter la valeur des textes inscrits, qui acquièrent une valeur majeur par rapport aux textes inscrits sur parchemin34. Toutefois, cette valeur ne dépend ni de la fiabilité du support (comme pour la pierre et les métaux), ni de la rareté de la matière première (comme pour l’or par rapport au fer), mais de la maîtrise du procédé de préparation et d’inscription (comme pour la soie).
31Une fois abandonné le parchemin, le principe du vélin est appliqué au papier, d’où le papier vélin dont la finesse devient la valeur. Il s’agit de papier parfaitement lisse, sans vergeures ni pontuseaux, pouvant accueillir des textes importants qui demandent à être traités avec délicatesse. Maniabilité et interprétation se rejoignent donc dans la même idée : un texte prestigieux doit être manipulé et interprété avec soin. Raison pour laquelle, par exemple, la célèbre collection de la Pléiade adopte ce support. Si autrefois c’était la résistance de la matière dont était fait le support à déterminer la valeur du texte inscrit, c’est maintenant l’apparente fragilité de cette matière qui en fait la valeur. Le texte se soustrait à l’éphémère autant que la matière y résiste, mais dès que la matière frôle l’éphémère, la valeur du texte augmente en raison de cette même fragilité.
32Le papier s’impose ensuite, et pendant longtemps, car il s’agit d’un support moins coûteux, moins rare, plus maniable et plus souple. Ce nouveau support venu de Chine36 entre le XIe et XIVe siècles, en passant par les pays arabes et l’Espagne, va remplacer progressivement le parchemin qui sera réservé à la production de textes prestigieux (écrits solennels ou éditions de luxe). D’ailleurs, on le considérant un support fragile, on protégeait souvent le papier avec une couverture faite de feuillets de parchemin. Le papier est une matière solide souple, issue de l’intrication de fibres végétales. La matière qui en est l’origine, l’écorce, facilement repérable, lui assure une diffusion rapide et large. En raison de la similarité des techniques et des outils de fabrication (Leroi-Gourhan 1943, 236-240), à l’origine de ces usages il est plausible une filiation entre la production du tapa chez les Indonésiens et les Mélanésiens et celle du papier chez les Chinois. « Tous deux ont comme trait fondamental d’employer l’écorce de mûrier pour matière première37 ; dans les deux cas l’écorce des branches ou des racines de l’arbuste est arrachée en lanières38, trempée, débarrassée, par raclage ou cuisson, de la pellicule superficielle et utilisée blanche. » (Leroi-Gourhan 1943, 237). Suite à la diffusion des battoirs découverts sur le continent asiatique, il en découle que le tapa et le papier ont cohabité longtemps. En outre, la production et la transformation du mûrier était à la base à la fois de la production du papier et de la soie (cf. Tsien 1962), matières utilisées pour fabriquer des supports d’écriture destinés à des usages différents39.
Les jeunes jets de mûrier, débarrassés des feuilles qui ont nourri les vers à soie, sont liés en fagots qu’on plonge dans l’eau bouillante. L’écorce est détachée en longues lanières qui sont mises à sécher en bottes en attendant la fabrication du papier. On les soumet ensuite à un rouissage de quelques jours en eau courante, puis on gratte les fibres internes pour les détacher de l’écorce. Toutes ces opérations sont communes au tapa et au papier. On cuit ensemble les fibres avec une lessive qui achève de les désagréger, cette opération distingue le tapa et le papier : les fibres du papier seront courtes et sans direction constante. On les rinces puis on les bat avec un battoir qui, au Japon, est souvent identique au battoir à tapa polynésien. La pâte, maintenant fine, est délayée dans l’eau additionnée de colles de céréales ou d’Amorphophallus. On plonge dans la pâte claire les châssis de vannerie qui retiennent la quantité de fibres nécessaires pour une feuille. Après égouttage et raffermissement, les feuilles sont étendues sur des planches pour les satiner, puis mises en piles, battues au pilon et disposées en liasses. (Leroi-Gourhan 1943, 239-240).
33Le papier, introduit tardivement en Occident40, et dont les techniques de fabrication ont été importées de Chine (cf. Besanoff 1965), notamment en parcourant la « route de la soie », a connu un succès phénoménale assez rapidement. « Le papier n'est pas né comme support d'écriture, mais pour créer des décorations, à des fins médicales, pour des jeux de divertissement, etc. ; son utilisation pour l'écriture remonte en revanche au IIe siècle de notre ère, mais il faudra attendre le IIIe siècle pour que son utilisation se répande dans toute la Chine et les pays voisins. » (Pàstena 2009, 85-86, nous trad.). En effet, la facilité de repérage de la matière première (l’écorce étant plus diffuse que le papyrus), les coûts de fabrication très bas par rapport au parchemin ou à la soie41, la durée du vie plus élevée par rapport à d’autres matières très peu coûteuses comme le bois42, l’argile ou la cire, la maniabilité et la circulation des textes facilités par rapport au poids du bois ou du métal, confèrent au papier un pouvoir inégalable.
Le procédé de sa fabrication était déjà connu depuis le IIe siècle en Corée et au Vietnam, dès le Ve siècle au Japon et dès le VIIe en Inde43 (...) Par ailleurs, le papier était déjà fabriqué à Samarcande (...) Chez les Arabes (cf. Bloom 2001), en tout cas, à partir du VII-VIIIe siècle après J.-C., l’utilisation contemporaine à la fois du papier, du papyrus et du parchemin s'est répandue pendant plusieurs siècles, mais la rareté du papyrus et le coût élevé du parchemin en ont limité au fil du temps l’utilisation au profit du papier chiffon, élément d’autant plus important si l’on tient compte, outre les besoins administratifs normaux, du haut niveau culturel atteint par les pays arabes, avec leurs savants et leurs poètes et la diffusion du Coran qui après une longue période de tradition orale a atteint sa canonisation dans le texte écrit sous le troisième calife, 'Othmàn Ibn' Affàn, vers la fin du VIIe siècle après J.-C. (Pàstena 2009, 88, nous trad.)
34Le pouvoir du papier augmente notamment en passant au « papier de chiffon », matière obtenue à partir de déchets textiles de chanvre, lin, coton ou autres tissus utilisés au quotidien. Le tri des déchets textiles déterminait la qualité du papier et l’automatisation des procédés de fabrication — notamment à travers l’introduction des moulins par les populations arabes (Bloom 2001) — favorisait une production à large échelle.
Avec les Arabes, l'art de la fabrication du papier connaît un essor important ; en possession d'une technologie plus avancée que celle de la Chine (ils connaissaient l'usage des moulins), maîtres dans la canalisation et l'irrigation, ils portèrent sa production à un niveau élevé. D'un point de vue technique, le papier utilisé par les Arabes était fabriqué à partir de chiffons de lin souvent mélangées à du chanvre et des écorces d'arbres. Au préalable, une sélection des tissus était effectuée, car un type de papier supérieur ou inférieur dépendait de leur qualité ; ceux-ci étaient ensuite lavés et bouillis pour être enfin divisés en trois groupes selon leurs qualités. Une fois cette opération terminée, les chiffons étaient mis à macérer dans de grandes cuves et découpés en morceaux avec des ciseaux. En ce sens, les Arabes ont apporté une grande innovation avec l'introduction du moulin à eau pour déchiqueter les fibres, qui soumettait les chiffons à l'action de "piles de marteaux multiples". De cette façon, l'arbre du moulin, qui servait autrefois à moudre le grain, était équipé de protubérances du bois, qui servaient à faire fonctionner, en les soulevant, des marteaux et des pilons qui se déplaçaient dans les bacs en bois contenant les chiffons imbibés d'eau savonneuse. (Pàstena 2009, 89, nous trad.)
35Malgré son pouvoir44, le papier reste une matière vulnérable (cf. Báez 2004). Le vieillissement du support est plus ou moins rapide et dépend de la qualité de la matière première, des processus de fabrication, des conditions de conservation45. « Les maladies du papier sont maladies des écrits, qu’heureusement la chimie moderne combat, grâce, en particulier, à la mise au point d’un papier dit "permanent". »46
36Le « papier permanent » est un papier à pâte chimique dont le traitement de fabrication permet de supprimer l’acidité, ce qui accroit ses capacités de permanence sur le long terme. La pâte utilisée pour sa fabrication est une pâte « chimique », blanchie et débarrassée de toute impureté, connue sous le nom de pâte « sans bois ». L’encollage est fait en milieu neutre, c’est-à-dire d’un pH égal ou supérieur à 7. L’alcalinité du papier est régulée par des éléments minéraux, comme le carbonate de calcium, qui permettent d’absorber une partie de l’acidité ambiante et d’améliorer l’opacité. Ces éléments neutralisent les acides présents dans les lieux de conservation, ou diminuent les effets de la pollution atmosphérique pouvant produire le vieillissement naturel du papier. Le but est de rendre le papier chimiquement et physiquement stable pendant une longue période. Sa résistance augmente, la valeur des textes inscrits aussi. Puisque « la matérialité du support est historiquement et sémiotiquement inhérente aux processus d’écriture » (Mitroupoulou et Pigner 2014, 14), la relation entre matière et usages des supports intervient sur la valeur des textes.
4 | Les supports d’écriture numérique
37L’analyse des dispositifs d’écriture numérique fait émerger des ambivalences propres aux supports numériques.
38Une première ambivalence concerne la matière dont se composent ces supports. Toutefois, deux acceptions du terme « matière » se chevauchent : l’une, concrète, relative à une matière physique que nous pouvons toucher, comme l’argile, la pierre, le papier, et comme le plastique, le verre, le silicium dont se constituent les composants de ces supports ; l’autre, abstraite, relative à une matière que nous ne pouvons pas toucher, mais qui existe quand même, comme la matière numérique faite d’impulsions électriques dont se constituent les traces enregistrées, et dont nous pouvons faire expérience seulement de manière indirecte. Ce rapport à une matérialité insaisissable pour l’usager des supports numériques a souvent fait parler d’immatérialité du numérique, alors que la matière numérique existe bel et bien.
39Toutefois, la matière numérique a sa propre particularité. Le texte inscrit sur la pierre ou sur le papier ne met jamais en suspens la matérialité de son support, autrement dit ne permet pas d’oublier la matière dont le support se compose. Le texte numérique, en revanche, dès qu’on le soustrait de ses supports, c’est-à-dire des dispositifs d’écriture et de lecture, met cette matérialité en suspens au point qu’on le qualifie souvent de « virtuel »47. Sur le support numérique les signes inscrits ne sont pas directement lisibles (on sait bien qu’ils répondent à un code binaire : 0 ou 1), ce qui rend leur existence suspendue en l’absence du dispositif de décodage (cf. Balpe 1990). La différence entre les textes « physiques » — conçus dans une culture des textes manuscrits ou imprimés — et les textes « numériques » réside donc premièrement, mais non exclusivement, dans une relation différente à leur support : le texte imprimé ne met jamais en suspens la matérialité de son support, c’est-à-dire qu’il ne permet jamais au lecteur de l’oublier, car — comme le disait Genette — le support présente le texte dans le double sens de le rendre présent et le montrer au lecteur ; en revanche, le texte numérique met en suspens sa matérialité dès qu’on soustrait le texte de son support car cette matière numérique reste pour le lecteur insaisissable.
40Prenons un exemple. Weissberg (2002) analyse plusieurs versions — papier et numérique — des Cent mille milliards de poèmes de Raymond Queneau. La lecture du texte en version papier repose sur un jeu de manipulation qui consiste à combiner les languettes dont se compose le support, et pour ce faire il faut manipuler la matière dont se compose les languettes, ce qui produit des innombrables combinaisons de texte (1014 sonnets différents, soit cent mille milliards). « L’objet imprimé exhibe une certaine transparence de par sa matérialité d’objet directement manipulable, exprimant dans sa conformation le programme combinatoire dont il est dépositaire. Transparence à laquelle s’oppose la dissimulation structurelle de tout programme [...]. Pour preuve de cette opacité congénitale de tout programme informatique, il suffit d’observer que les transpositions informatiques de l’œuvre de Queneau mobilisent nécessairement des systèmes de commandes apparaissant à l’écran sous forme de fenêtres, menus, roll over » (Weissberg, 2002). Et en effet, l’usager ne prévoit pas ce qui va se passer en manipulant le support, en pressant un bouton de la souri agissant d’interface, ou en faisant dérouler une interface graphique à l’écran. Cette opacité se construit sur la duplicité matérielle propre au support numérique : concrète et abstraite, physique et numérique. « L’écran devient support lorsqu’il s’identifie avec la co-émergence de la représentation, comme au théâtre la scène anonyme s’identifie soudain à des personnages bien précis se produisant dans un décor choisi » (Berthier 2005, 69).
41Revenons à la relation entre matière et usage concernant les supports d’écriture numérique. Par principe multipliables à l’identique et à l’infini, les textes numériques deviennent indestructibles, à condition de ne pas les soustraire aux supports. Le principe est toujours le même : pas de texte sans support. La différence est que le silicium, c’est-à-dire la matière dont se compose le support qui permet une pratique d’écriture et de lecture électronique des textes, n’est pas une matière dont nous avons expérience au quotidien : elle nous échappe, raison pour laquelle nous avons du mal à reconnaître son existence et sa valeur. En outre, nous sommes entièrement dépendant des industries qui s’occupent de l’extraction et de la transformation de cette matière afin de permettre la production des supports numériques48. Et les pratiques de production sont devenues complexes : si autrefois on pouvait produire du papier partout dans le monde, à partir de vieux torchons inutilisés, bouillis, blanchis, compressés, lissés, coupés et cousus, aujourd’hui on ne peut pas produire aussi facilement des supports numériques, car le silicium est extrait en grande quantité seulement dans certains endroits (Chine, Afrique, Amérique) à l’aide de machines coûteuses, de processus de transformation et production coûteux, employant de nombreuses personnes dont les actions constituent une chaîne de pratiques complexes — et qu’on n’est pas capable de reproduire à petite échelle — pour assembler les différentes pièces et diffuser des supports qui vont être utilisés partout dans le monde.
42Le support d’écriture numérique est donc issu de la rencontre entre une matière dont la pratique de fabrication est compliquée (extraction, transformation, diffusion) — celle des composants des supports — et une matière dont la pratique d’inscription est complexe (codage) — celle des traces qui peuvent s’inscrire sur les supports. Toutefois, la matière dont se composent les traces numériques est objet de manipulation comme la matière dont se constituent les supports. En raison de sa nature indirectement saisissable, comme toute expérience que nous pouvons faire de l’électricité, cette « matière numérique » est difficile à concevoir en tant que telle. Et pourtant c’est bien par cette matérialité que les traces numériques peuvent faire l’objet de calculs. « Calculus signifie "petit caillou", comme ceux qu’on utilisait jadis et qu’on mobilise encore pour apprendre à compter, pour réaliser des manipulations opératoires permettant de trouver un résultat. Le calculus est une entité matérielle, c’est l’unité de ce qui est manipulé. C’est ce dont se saisit la machine pour réaliser le calcul. Le calculus est à l’algorithme ce que le caractère est à l’écriture : c’est l’unité permettant de le concrétiser et qui est manipulé pour constituer des entités qui peuvent certes avoir un sens, mais par ailleurs, selon une convention externe surajoutée à la manipulation des calculi » (Bachimont 2021). Les supports numériques obligent alors à prendre en compte à la fois la matière dont se composent les pièces et la matière dont se composent les traces. Cette duplicité de la matière, celle du support à écrire (papier, soie, verre, etc.) et celle de la trace à inscrire (encre, fils, plomb, etc.), concerne en général tout dispositif d’écriture (cf. Zinna 2004).
Les propriétés matérielles du support doivent être considérées sous un double aspect : d’une part, il s’agit du substrat matériel dans lequel les inscriptions seront portées. C’est par exemple le papier et l’encre, sa structure de codex ou de volumen, etc. D’autre part, il s’agit des formes matérielles inscrites dans le support. Ces formes matérielles ne sont pas quelconques : elles doivent constituer un code et leur manipulation doit être compatible avec les propriétés du support. Ainsi, l’inscription subit-elle une double contrainte matérielle : le format des formes matérielles et le substrat d’inscription. Substrat et format sont donc les deux dimensions sous lesquelles considérer l’influence du support sur l’intelligibilité de l’inscription. (Bachimont 2004, 77)
43La difficulté consiste finalement en la capacité de saisir cette duplicité au sein des dispositifs d’écriture numérique (Bachimont 2016). Cette duplicité oblige également à produire des dispositifs d’écriture et de lecture pré-constitués (pré-formatés, cf. Souchier et al. 2019) dont l’usage, assisté par ordinateur, tablette, ou téléphone, permet d’intervenir sur le texte « sans le toucher ». Le support d’écriture numérique n'entraîne pas une « dématérialisation » du texte, mais une (re)matérialisation numérique dont la nature indirectement saisissable a porté préjudice à la connaissance de la matière numérique.
44Pour en saisir les enjeux, une théorie du support de l’écriture numérique s’est alors développée, notamment à la suite des contributions fondamentales de Bachimont (2004) et Bouchardon (2004), comme le montre le manuscrit de Yannick Prié (2011) sur les inscriptions numériques, dont la thèse principale dit que « les propriétés du substrat physique d’inscription et du format physique de l’inscription, conditionnent l’intelligibilité de l’inscription »49.
45Une deuxième ambivalence propre aux supports d’écriture numérique concerne l’usage. « Le support numérique donne une dimension nouvelle à la réécriture dans la mesure où, en tant que support dynamique, il permet l'inscription des productions du lecteur selon les mêmes modes que les productions de l’auteur. Ainsi, la conception du support numérique doit être pensée pour une réécriture dynamique. On parlera alors de support interactif » (Bachimont et Crozat 2004, 4, nous soulignons). Une distinction se profile donc à l’horizon : celle entre des supports statiques qui, une fois façonnés, ne modifient pas le processus de lecture des textes en cours, et des supports dynamiques qui peuvent modifier le processus de lecture des textes à tout moment (Dall’Armellina 2001). Puisque l’affichage du texte peut changer continuellement, finalement « c’est la capacité de la surface d’un objet à changer que l’on a inventé, c’est-à-dire la surface dynamique » (Berthier 2005, 65).
S’il y a une différence entre les supports classiques et le support numérique, elle réside peut-être moins dans cette opposition que dans l’aspect interactif en tant que tel, c’est-à-dire le fait que le support réagit et exécute certaines actions. Quand je tourne une page, je suis dans un fil interprétatif continu et homogène, car le support est passif. Lorsque j’interagis avec un support dynamique, je suis dans un mode communicatif fondé sur l’interprétation de l’événement qui arrive. Dans le premier cas, je poursuis mon idée et arraisonne ce qui arrive (les mots que je découvre dans les pages que je tourne) à mon fil interprétatif ; dans le second, j’adapte mon idée à ce qui arrive, car ce qui arrive peut faire rupture (un comportement inattendu par exemple), possède une autonomie qui résiste et sort de mon fil interprétatif. (Bouchardon 2012, 86-87).
46Comme nous l’avons écrit ailleurs (De Angelis 2021), du point de vue herméneutique, nous pouvons envisager le processus de transformation d’un document numérique dans un texte numérique de la manière suivante :
- Le (moment du) document correspond à l’inscription des éléments signifiants selon le(s) système(s) d’enregistrement ;
- (Le moment de) la médiation renvoie à la re-configuration des éléments signifiants à travers un logiciel assurant le trans-codage ;
- Le (moment du) texte est la restitution des éléments signifiants selon le(s) système(s) de restitution.
47De cette manière, le processus de matérialisation numérique se dédouble : une première médiation concerne le rapport du document au texte, ce qui prépare le processus interprétatif : le moment de re-configuration est automatique, car assuré par une machine ; une deuxième médiation concerne le rapport du texte au monde (numérique), accompagnant le processus interprétatif accompli par le lecteur. Bachimont (2007) distingue le support d’inscription du support de restitution, ce qui rend évidente la nécessité de différencier les deux médiations mentionnées. « Dans le monde de l’imprimé, le support d’enregistrement et le support de restitution constituent un seul et même support, la page qui a été imprimée. Dans le monde du numérique, le support d’enregistrement (mémoire numérique) et le support de restitution, en l’occurrence l’écran, sont distincts. Entre les deux intervient la médiation du calcul. Ainsi, à une même forme d’enregistrement (le code) peuvent correspondre plusieurs formes de restitution possibles. En ce sens, les inscriptions sur l’écran sont dites dynamiques. » (Bouchardon 2012, 79) Or, celles-ci sont dédoublées dans le cas de l’enregistrement et/ou de la lecture « dans le cloud », car le rapport entre le support d’enregistrement (les serveurs situés à des milliers de kilomètres de nous), les supports d’inscription et les supports de restitution (les ordinateurs ou les tablettes que nous utilisons) est médié par une infrastructure de câbles qui les séparent, tout en augmentant à la fois la capacité d’enregistrement (premier moment), de calcul (deuxième moment) et de restitution (troisième moment) à travers la médiation du serveur. « Sous l’étiquette cloud computing, le support est présenté comme une somme de puissances de calcul externalisées qui bafouent ses dimensions matérielles et formelles. » (Gomez Mejia 2014, 91). De cette manière, les supports, au lieu de disparaître, se multiplient en raison de la dissociation entre les fonctions d’enregistrement, d’inscription et de restitution. « Par là même, le motif du support comme opérateur d’une "externalisation de la mémoire" semble dédoublé, non seulement au sens anthropologique de Leroi-Gourhan (externaliser/extérioriser), mais aussi sous ses acceptions économiques plus contemporaines (outsourcing/délocaliser). » (Gomez Mejia 2014, 80).
48Une troisième ambivalence concerne alors la relation entre le support et la mémoire. En analysant la relation entre matière et usage des supports d’écriture numérique, il en résulte un rapport différé à l’écrit, ainsi qu’une vision du support ambivalente : d’un côté, extrêmement puissant par rapport aux possibilités de reproduction, circulation, exploitation des textes ; de l’autre côté, extrêmement fragile par rapport aux possibilités de manipulation et de conservation des textes, car les dispositifs changent très rapidement50. « À l’intérieur et à l’extérieur de l’ordinateur, le stockage est organisé de façon très hiérarchisée en couches concentriques, autour du cœur, l’unité centrale de traitement (CPU pour central processing unit). (…) Au "centre", quelques milliers d’octets sont placés dans des registres et quelques centaines de milliers d’octets dans des mémoires dites cache, également intégrées au processeur. Très rapides, elles peuvent échanger jusqu’à 1 To par seconde — 1012 octet/s —, mais sont très couteuses. La mémoire vive de la deuxième couche contient quelque Go. Elle est dite à accès aléatoire — par exemple tous les types de RAM (random access memory), DRAMS, SRAM… — également fort rapide mais typiquement cent fois moins que les registres du processeur — jusqu’à 10 Go/s —. Viennent enfin les mémoires de masse, par exemple les disques durs internes ou externes de quelques To, autorisant un flux de données typiquement de quelques centaines de Mo/s ou Go/s. » (Laguës, Beaudouin, Chapouthier 2017, 263).
49La relation entre le support et la mémoire se place au cœur de la culture numérique. Par exemple, peut-on envisager des modalités d’enregistrement « hors support » ? Le concept de « cloud », tel que remis en question par Gustavo Gomez Mejia (2014), permet de focaliser l’attention sur le statut des supports d’écriture numérique : « quel est le statut des supports matériels pris dans ces "trans-formations" contemporaines ? d’un support à l’autre, peut-on envisager des marqueurs sémiotiques caractéristiques des régimes du cloud computing ? » (Gomez Mejia 2014, 77-78). En effet, la disparition des supports (serveurs, ordinateurs, tablettes, smartphones) de l’imaginaire du nuage fait disparaître en même temps toutes les questions relatives à la matérialité de l’inscription et de la circulation des écrits. « D’un point de vue sémiotique, "les formes numériques de communication dissocient la matérialité de l’inscription de celle du support de lecture" (Bonaccorsi 2013, 127) : il nous semble que les mobilisations contemporaines de l’image du "nuage" jouent sur les perceptions sociales de cette dissociation entre matières et formes. » (Gomez Mejia 2014 : 78). Alors que les discours insistent sur une (illusion de) immatérialité des écritures numériques, il faudrait changer de discours pour « préciser qu’avec le cloud "nous avons affaire à un changement de régime de matérialité et non pas à une perte de matérialité", comme le précisaient Després-Lonnet et Cotte (2007 : 113) » (Gomez Mejia 2014, 80). En effet, il s’agit bien d’un changement de matérialité entrainé par un changement de supports qui, à leur tour, entrainent des changements de pratiques d’inscription et de circulation des écrits numériques. « En l’occurrence, et en résistant à tout imaginaire "gazeux", le "régime de matérialité" sous-tendu par ces lectures du "nuage" semble accroître les interdépendances entre un "matériel" lourd et "distant" (serveurs, raccordements réseau et leurs logiciels respectifs) et des supports proches "allégés" de certaines prérogatives (ordinateurs, écrans, smartphones, tablettes) qui ne sont pas au centre des définitions. » (Gomez Mejia 2014, 80). En réfléchissant à la relation qui se met en place entre les supports d’inscription (claviers ou souris) et les supports de lecture (écrans), le déplacement des espaces de mémoire double la médiation au sein de la relation entre support et écrit : la "matière mémoire" (Souchier 2004b, 92) inscrite sur les supports d’enregistrement comme les serveurs est de plus en plus éloignée des supports d’inscription ainsi que des supports de lecture, comme l’ordinateur, la tablette, ou le smartphone51.
5 | Conclusion
50Les contacts fréquents entre les populations arabes et chinoises font que le papier se répand assez rapidement en Orient. Par exemple, la première fabrique de papier à Baghdâd en 794-795 facilite l’utilisation et la distribution du papier dans la région, « permettant la diffusion de la "vulgate" du Coran, la version dite "du troisième calife", Othoman ; celle-ci ressemble les textes dispersés des paroles de Dieu révélées à Mahomet, textes dictés par lui et primitivement inscrits sur des omoplates de chameaux, des morceaux de cuir, des feuilles de palmier ou de parchemin. » (Jean, in Breton-Graveau et Thibault 1998, 148).
51Cet exemple nous rappelle que changer de support ne comporte par seulement changer de matière, mais aussi établir une autre relation entre la matière et l’usage des textes. Plus précisément, l’utilisation du papier permet aux textes de se présenter en tant que textes52, autrement dit ce support introduit le concept de « texte » grâce à une facilité de reproduction jusqu’alors inconnue qui crée une fracture entre la matière (du support) et l’usage (de l’écrit). Reproduit à grande échelle, le texte se détache idéalement de la matière. Il voyage tout seul à travers le monde : il se diffuse, il s’éparpille, tout en étant soi-même dans les différentes copies. La disponibilité de la matière première, la facilité de fabrication et de transport, et son moindre coût final, permettent au papier de devenir un véhicule de textes très puissants.
52La multiplication des livres sur papier à travers les processus de reproduction mécanique (l’imprimerie53) fait que la quantité d’information qui circulent augmente très rapidement de manière à rendre parfois difficile la lecture des ouvrages concernant un même sujet. « La généralisation du papier et le développement de l’imprimerie vont, à la Renaissance, consacrer l’émancipation du texte par rapport à son support d’origine : le texte, jusqu’alors enfoui dans une matière dont il ne se séparait pas, peut désormais se "poser" sur n’importe quel support. » (Breton-Graveau et Thibault 1998, 14).
53Cette nécessité d’exploration et d’exploitation des textes fait que des dispositifs de lecture qui augmentent les capacités de gestion de l’information commencent à se diffuser dans les milieux les plus favorisés. Par exemple, l’apparition de la « roue à livres », une véritable roue en bois dont les pales servent d’étagères pour poser les livres en lecture, permettait de consulter plusieurs livres à la fois. Cette possibilité était offerte également par une pile de plateaux ronds sur lesquels on pouvait disposer les livres et les consulter en faisant tourner les plateaux54. Ces dispositifs de lecture permettent le repérage et le tri des informations, tout en offrant au lecteur un éventail de « fenêtres » sur l’ensemble des informations tel qu’on en fait expérience aujourd’hui à travers le principe des « onglets » facilitant l’exploration des textes numériques.
54Le support véhicule ainsi une certaine valeur des textes de par sa propre matérialité. Par rapport à d’autres supports d’écriture, la difficulté à percevoir la valeur des écrits numériques dépend partiellement de l’incapacité à reconnaître la valeur de la matière numérique, tout en étant familiers des supports par lesquels on a accès à l’écriture numérique. C’est la raison pour laquelle, par exemple, on valorise plus un roman sur support papier que sur support numérique : de par la matière dont il se compose, la valeur du texte change aux yeux du lecteur. Malgré la puissance de reproduction, de circulation et d’exploitation des textes dues à l’usage des supports numériques, la matière numérique n’est pas encore perçue à sa juste valeur. Comme un « phármacon » (φάρμακον) qui peut à la fois guérir et empoisonner, la matière numérique peut donc faire vivre les textes éternellement comme en décréter une mort soudaine. Comme toute autre matière, elle est patronne et servante de la vulnérabilité de l’écrit.
- 1 En répondant à la question posée par Georges Charbonnier, « Quelle distinction y a-t-il lieu d'établir entre nature et culture ? », Claude Lévi-Strauss répond : « pour reprendre la définition classique de Tylor — je cite de mémoire et inexactement sans doute — enfin, la culture ou civilisation, c'est l'ensemble des coutumes, des croyances, des institutions telles que l'art, le droit, la religion, les techniques de la vie matérielle, en un mot, toutes les habitudes ou aptitudes apprises par l'homme en tant que membre d'une société. » (Lévi-Strauss 1969, 180-182)
- 2 La notion de matière est envisagée telle que Leroi-Gourhan l’entend dans son ouvrage L’homme et la matière (1943).
- 3 https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Clay_accounting_ball_with_calculi,_counters,_and_evolution_of_cuneiform_-_Oriental_Institute_Museum,_University_of_Chicago_-_DSC07070.JPG#/media/Fichier:Clay_accounting_ball_with_calculi,_counters,_and_evolution_of_cuneiform_-_Oriental_Institute_Museum,_University_of_Chicago_-_DSC07070.JPG
- 4 « L’argile et le roseau sont des matières omniprésentes dans la plane alluviale du Tigre et de l’Euphrate, à partir desquelles on fabriquait la tablette servant de support à l’écriture » (« Les scribes mésopotamiens », in Christin 2001, 37)
- 5 « Il y a aussi un lien entre la forme de la tablette et le contenu : chez les Sumériens, par exemple, la forme du support (tablette ronde ou carrée) est indicatrice du contenu (texte économique ou texte littéraire). Ou encore, on sait que le support pouvait s’adapter non plus au contenu, comme dans l’exemple précédent, mais à la longueur du texte : le scribe découpait la bande d’argile en fonction de la taille de la tablette dont il avait besoin… Chaque région et chaque période avaient leurs habitudes. » (Klock-Fontanille 2005, 30)
-
6 « Le seigneur de Kulab
(= Enmerkar) façonna de l’argile (im) et y
inscrivit un message comme on fait sur une tablette (dub). Avant cette époque, le fait d’inscrire
un message sur de l’argile (im) n’existait
pas. » (Glassner 2000, 31).
« Les Mésopotamiens inventent dans le même mouvement leur premier registre de signes et son support, la tablette d’argile. Le texte semble consubstantiellement lié à son support de lecture. » (Klock-Fontanille 2014, 33).
- 7 Du point de vue étymologique, le mot « support » est attesté dans le sens de « secours, aide » jusqu'à la fin du XVIIe (voir Littré), et encore à la fin du XVIIIe. « Appareil, assemblage de conception variée, destiné à recevoir un objet, un instrument, un dispositif ou à maintenir celui-ci dans une position donnée » (CNRTL) URL: : https://www.cnrtl.fr/definition/support
- 8 « Le support matériel (cf. infra) fournit […] les éléments nécessaires pour fixer le régime temporel du support formel (cf. infra) : ainsi, le caractère sacré des inscriptions hiéroglyphiques est-il déterminé par la pérennité de leur support, et ce régime temporel est la figure de contenu correspondant, au plan de l’expression, à la résistance intrinsèque du matériau utilisé. » (Fontanille 2005, 200).
- 9 « L’homme fait connaissance très tôt avec la résistance des matériaux : la surface naturelle, rugueuse ou lisse, le provoque, attise son imagination : la surface d’une eau calme intrigue, génère une certaine émotion ; pourquoi y jette-t-on parfois un caillou ? (…) Historiquement, la paroi rugueuse — dans laquelle la main ne peut que forer mais non pas s’enfoncer ou alors seulement par la pression du trait — se polit doucement pour devenir le mur agencé de la ville, le tableau accroché sur ce mur. Inscriptible. » (Berthier 2005, 65).
- 10 Les lettres cursives, plus arrondies, sont utilisées notamment sur des supports constitués de matières plus souples, comme le papyrus, le parchemin ou les tablettes enduites de cire.
- 11 « L’histoire de l’écriture peut être vue comme une succession d’ardoises, mais avec l’invariant d’un geste. Derrière la "touche" clavier suppr, le grattoir, la gomme, le tippex, et l’invariant d’un geste graver / effacer » (Berthier, 2005, 63).
- 12 « Dès le début de notre enquête dans le village gourmantchè de Yobri Sapiaga, notre attention était attirée par des fragments de calebasse dont la face interne comportait, gravées dans le bois, deux séries de signes au dessin varié (…). Parce que nous les voyions fréquemment circuler de mains en mains, nous ne pouvions hésiter sur la fonction de message à attribuer à ces fragments de calebasse ; parce que nous les retrouvions brisés en plusieurs petits morceaux sur divers lieux de sacrifice, nous savions qu'il s'agissait de messages à caractère religieux. L'enquête fit apparaître que ces « idéogrammes » étaient composés par les géomanciens et qu'ils étaient destinés à communiquer aux consultants — sous une forme qui les intéresse directement — une partie des révélations obtenues en « interrogeant » la terre. Ces révélations — qui étaient en même temps des prescriptions — concernaient les catégories d'êtres transcendants — divinités, ancêtres, génies — que les consultants avaient offensés ou négligés et le genre de sacrifice — ou d'offrande — qu'ils devaient accomplir — ou présenter — pour les rendre favorables. » (Michel 1963, 275-276).
- 13 URL : https://collections.louvre.fr/en/ark:/53355/cl010080499
- 14 Cheikh al-Islam ibn Taymiyya : « Il n’y a aucun mal si un individu écrit des versets du Coran ou des invocations dans un récipient ou sur une ardoise qu’il lavera avec de l’eau ou autre, puis boira cette eau : ceci a été énoncé par l’imam Ahmed et d’autres. » L’imam Ibn al-Qayyim : « Zâd al-ma'âd » : « Un groupe de savants parmi les prédécesseurs - parmi eux Mudjâhid et Abû Qalâba - estime qu’il est licite d’écrire des versets du Coran sur un support puis laver ce support avec de l’eau et boire cette eau. »
- 15 https://essentiels.bnf.fr/fr/focus/de80e503-4a2b-461e-9911-a5b4ad74f9ad-supports-effacables
- 16 Cette synthèse suppose une classification de la matière proche de celle proposée par Leroi-Gourhan. « Les solides dont l’état ne varie pas ont reçu le nom de solides stables : pierre, os, bois ; ceux qui, par échauffement par exemple, acquièrent une certaine malléabilité sont dits solides semi-plastiques : c’est le cas des métaux ; ceux qui, malléables à l’état de traitement, acquièrent la dureté en séchant ou par la cuisson sont les plastiques : poterie, vernis, colles ; ceux enfin qui, à tous moments de leur état, sont flexibles mais non malléables ont le titre de solides souples ; peaux, fils, tissus, vanneries. » (Leroi-Gourhan 1943, 19).
- 17 Cf. Le catalogue de l’exposition « Le papyrus dans tous ses États, de Cléopatre à Clovis » (Fournet 2021).
- 18 Le mot « papier » vient du grec « papyros » désignant le papyrus, alors que les mots grecs « byblos » et « chartès » sont à l’origine respectivement des mots « bible », désignant le livre par excellence, et « charte » ou « carta ».
- 19 URL : https://my.matterport.com/show/?m=vLYoS66CWpk
- 20 « Certaines découvertes archéologiques montrent la position adoptée par le scribe égyptien pendant son travail, selon qu’il devait écrire un rouleau ou une lettre. Une statue [provenant de Saqqara, 2700-2200 a.J.-C.] de la cinquième dynastie (2500-2350 a. J.-C.) montre le scribe assis par terre en tailleur, pendant qu’il tient le rouleau posé sur les jambes, pris dans l’acte d’écrire. L’autre position, en revanche, était probablement adoptée pendant la rédaction d’une lettre, comme en découlent de deux bas-reliefs, dont le premier [provenant de Saqqara, 2350-2200 a.J.-C.] montre des scribes tenant une jambe pliée pour soutenir une feuille appuyée sur une tablette de bois, alors que l’autre appuie par terre, un calame dans la main droite, pendant qu’avec la gauche il tient fermement la feuille de papyrus et les outils pour écrire ; encore plus intéressante est la deuxième image [provenant de Giza, 2650-2500 a.J.-C.], où les scribes, dans la même position que dans l’image précédente, ont deux calames appuyés sur l’oreille gauche. » (Pàstena 2009, 55, nous traduisons).
- 21 Le rouleau prend des nomes différents. En latin, on utilise le terme volumen dont vient celui de volume ; « pour identifier le rouleau non écrit, en grec on utilisait le terme χάρτης (chártēs) (dont l’italien carta), alors que le terme Βιβλος (bíblos) ou Βιβλίον (biblíon) — nom de la ville phénicienne de Biblo dans l’actuel Liban qui était la plus grande exportatrice de papyrus égyptien dans la Méditerranée — on identifiait le rouleau écrit » (Pàstena 2009, 22, nous traduisons).
- 22 Dans les rouleaux greco-romains, la longueur du vers était fixée sur l’hexamètre homérique, c’est-à-dire un vers composé de 18 syllabes, composée de 34 à 38 lettres.
- 23 En étudiant les rouleaux d’Herculanum, Capasso (1995) montre quatre manières d’enrouler le support sur lui-même.
- 24 « Dans les rouleaux grecs et latins à la fin du texte on trouvait le titre de l’œuvre, appelé en grec επιγραφή (hepigraphē) et en latin titulus, inscriptio ; ceci était positionné généralement à droite de la dernière colonne à l’intérieur de l’espace graphique destiné au texte ou en dessous de celle-ci, et dans tous les cas toujours suivi d’une portion de papyrus non écrite, dite άγραφον (ágraphon). Le titre pouvait être écrit avec les mêmes caractères du texte, ou être inscrit avec une écriture plus élégante, et dans ce cas un autre scribe spécialisé dans ce type d’écriture intervenait. Cette sorte de colophon placé à la fin du rouleau rassemblait normalement le nom de l’auteur au génitif, le titre de l’œuvre, le numéro progressif du livre, s’il était composé de plusieurs livres e, dans certains cas, l’indication de l’année de composition de l’œuvre par l’auteur, le nombre de feuilles de papyrus utilisées (kollémata), le nombre de colonnes (selídes) et le nombre total de lignes, en grec στίκοι (stíkoi), indication importante afin de quantifier le nombre de lignes (sticométrie) pour payer l’œuvre du scribe » (Pàstena 2009, 22-23, nous traduisons).
- 25 URL : https://unsplash.com/it/foto/L3BtJiiSkwY
- 26 « Pline l’Ancien explique que la découverte du parchemin serait due à la volonté d’un souverain d’Asie Mineur ; ce roi de Pergame, mort en 159 avant J.C., s’appelait Eumène II ; pour remédier à la pénurie de papyrus, dont les Ptolémées avaient alors interdit l’exportation d’Egypte vers Pergame, Emmène II aurait encouragé la fabrication de ce nouveau support. C’est en tout cas de Pergame qu’est issu, par le bas latin "pergamena", du grec "pergaméné", notre mot "parchemin", "parcamin" en français du haut Moyen Age. » (Breton-Graveau et Thibault 1998, 108).
- 27 « D'un type lat. *pergamīnus [s.-ent. papyrus?] masc. correspondant au b. lat. pĕrgamēna fém. «parchemin», du gr. π ε ρ γ α μ η ν η[s.-ent. δ ι φ θ ε ́ ρ α] «[peau apprêtée] à Pergame», la préparation du parchemin ayant été inventée à Pergame, en Asie Mineure » (CNRTL) https://www.cnrtl.fr/etymologie/parchemin
- 28 Du grec « palin » qui veut dire de nouveau et « psân » qui veut dire gratter.
- 29 « The printed book is a thing of paper and in a short time will decay entirely. But the scribe commending letters to parchment extends his own and the letters' lifespan for ages. And he enriches the Church, conserves the faith, destroys heresies, repels vice, teaches morals and helps grow virtue. The devoted scribe, whom we intend to describe, praises God, pleases the angels, strengthens the just, corrects the sinner, commends the humble, protects the good, defeats the proud, and condemns the stubborn. The scribe, distinguished by piety, is the herald of God, because he announces His will to present and future peoples, promising eternal life to the good, pardon to the penitent, penalty to the negligent, and damnation to the contemptible. What is healthier than this art, what is more commendable than this piety which delights God, which the angels praise, which is venerated by the citizens of heaven? It is this piety that creates the weapons of the faithful against the heretics, which casts out the proud, which saps the strength of demons and which sets the norms of Christian life. It is this that teaches the ignorant, supports the timid, helps the devout, and joins the peaceful in love. » (Johannes Trithemius, in Praise of Scribes, Chapitre I. URL : https://misc.yarinareth.net/trithemius.html)
- 30 Pour un aperçu visuel du processus, voir Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, « Parcheminier : atelier et outils. France, XVIIIe », Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une Société de gens de lettres Paris, Briasson, 1751-1780. BnF, département Littérature et art, Z-370.
- 31 Parchemin réparé, bréviaire franciscain, Ratisbonne (?), XIIIe siècle (vers 1272), Parchemin, 18,5 x 14 cm, BnF, Manuscrits occidentaux, latin 1045. Photo personnelle de Gérard Ducher Antiquité égyptienne, Scribe. Musée égyptien du Caire, Le Caire, Égypte. URL : http://classes.bnf.fr/dossisup/grands/111a.htm
- 32 Le terme codex indique également un le support des textes aztèques (XIVe siècle apr. J. C.) : les textes étaient inscrits sur des longues bandes d’agave ou de peaux de cerf de plusieurs mètres, repliées en accordéon, peintes sur les deux côtés (recto et verso). La plupart des codex aztèques ont disparu suite à la colonisation espagnole de leurs territoires.
- 33 Voici un exemplaire : http://classes.bnf.fr/dossisup/grands/ec102a.htm
-
34 Bible
de Gutenberg : [Biblia latina]. Ex. sur vélin - Volume 1, Mainz,
Johannes Gutenberg et Johannes Fust, ca 1455 URL :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k9912811
- 35 https://fr.wikipedia.org/wiki/Bible_de_Gutenberg#/media/ Fichier:Gutenberg_Bible_WDL7782.jpg
- 36 « Depuis l’Antiquité, les livres et les documents étaient rédigés pour la plupart sur des tablettes de bambou, puis sur du tissu de soie que l’on appelait zhi. Le tissu était coûteux et les tablettes étaient lourdes, et aucun de ces supports ne convenait véritablement. C’est alors que Cai Lun eut l’idée de se servir d’écorce d’arbre, de fragments de chanvre, de toile usée et de filets de pêche pour faire du papier. La première année yuanxing (105 de notre ère), il fit un rapport à l’empereur qui reconnut ses compétences. Depuis cette époque, ce papier a été utilisé partout et c’est pourquoi il a été appelé dans l’empire papier du marquis Cai. » (Fan Ye, Hou Han shu, Pékin, Zhonghua Shuju, 1965, cité par Drège 1987).
- 37 En Chine, selon Tsien (2005, 52-64), le papier était fabriqué à partir de matières différentes selon les régions : on pouvait utiliser le chanvre, le bambou, le mûrier, le rotin, les lichens, la paille… selon les matières disponibles dans les différentes zones.
- 38 « Pour le tapa, ces lanières longuement raclées avec une coquille ou un mollusque (Polynésie) ou un os de tortue (Nouvelles-Hébrides) sont réduites en écheveaux qu’on dispose côte à côte sur une planche. Plusieurs couches (souvent trois) sont ainsi superposées en diagonales : après les avoir copieusement humectées on les laisse reposer 24 heures pour permettre aux agglutinants contenus dans la sève du mûrier d’affermir la masse. Puis on les bât longuement en le mouillant avec un battoir de bois ou de pierre. Ce martelage peut être fait sur une surface sculptée qui imprime en creux le décor ou ce dernier peut être appliqué à la main après le séchage définitif du tapa. Il résulte de ces différentes opérations une substance qui n’est pas un tissu mais plutôt un papier dont les fibres suivraient, sur trois couches superposées, des directions constantes. » (Leroi-Gourhan 1943, 237).
- 39 En effet, en Chine, pour des raisons de disponibilité des matières premières, le papyrus et le parchemin n’était pas utilisés. En outre, la soie et le papier de chiffon était adaptés à l’écriture au pinceau. Parmi les matières disponibles, les première utilisées pour construire des supports d’écriture furent les os, les coquilles et les carapaces de tortue. Cf. Pàstena (2009, 106 ss.)
- 40 Notamment, en Espagne à partir du Xe siècle a. J.-C., et en Italie, notamment à Fabriano où on met au point un nouveau processus hydraulique pour améliorer le déchiquetage des tissus dans les moulins destinés à la fabrication du papier. « Pendant cette période, on change également la "forme" qui était immergée dans la cuve contenant la pâte à papier et la méthode d’encollage et on commence à utiliser une gélatine d'origine animale, ce qui a rendu le papier plus brillant, imperméable et résistant. » (Pàstena 2009, 91, nous trad.). Ensuite, les Hollandais améliorèrent encore le processus de fabrication, en éliminant la phase de macération et, par conséquent, en augmentant la qualité du papier.
- 41 En Chine, la soie était largement utilisée pour la fabrication de tissus, vêtements, cordes, mais également supports d’écriture. Par rapport aux tablettes de bois et aux bandes de bambou, la soie était plus flexible et durable ; en revanche, en raison du processus de fabrication laborieux, on l’utilisait pour inscrire des textes dans leur version définitive, alors que la version provisoire pouvait être inscrite sur des supports en bois.
- 42 Depuis l’antiquité, en Chine le bois était utilisé pour fabriquer des supports d’écriture. Il était utilisé soit comme surface sur laquelle graver ou encrer des signes, soit comme matrice imprimer à travers la technique de la xylographie (gravure sur bois utilisé pour imprimer sur un support autre).
- 43 Pour une synthèse des supports d’écriture utilisés en Inde, cf. Pàstena 2009, 113-119.
- 44 Cf. « Pouvoirs du papier », Les cahiers de médiologie, N° 4, deuxième semestre 1997, coordonné par Marc Guillaume et Pierre-Marc de Biasi.
-
45
Voir, par exemple,
https://fr.wikipedia.org/wiki/Parasites_du_livre#/media/
Fichier:Bookworm_damage_on_Errata_page.jpg
- 46 « On assiste par ailleurs depuis plusieurs années à la multiplication d’opérations de "recyclage" des papiers ; en fait, cette récupération, devenue aujourd’hui industrie et symbole d’écologie, manifeste un souci déjà ancien, puisque le premier livre imprimé sur un papier recyclé, ou ouvrage de Julius Claproth publié à Göttingen chez J. A. Barbier, date de 1774. » (Georges Jean, in Breton-Graveau et Thibault 1998, 159).
- 47 « Le document papier, lui, porte l’information de manière indissociable, support de présentation et information ne faisant qu’un pour le lecteur, l’information étant en quelque sorte “incrustée dans le support” » (Caro Dambreville 2007, 46)
- 48 « On distingue (…) trois niveaux d’impureté du silicium, en fonction de son utilisation : la qualité métallurgique de pureté 99%, la qualité solaire de pureté 99, 999 9% et la qualité électronique pureté 99, 999 999 99%. Dans le silicium de qualité électronique, il y a donc au plus un atome d’impureté pour 10 milliards d’atomes de silicium ! La réaction chimique qui permet d’obtenir du silicium métallurgique est une carboréduction du type SiO2 + C → Si + CO2. On introduit la matière première, souvent des galets, avec du bois, du charbon, etc. Comme réducteur dans un grand creuset où l’on pratique une électrolyse à près de 3000° C. La purification nécessaire pour l’industrie du transistor est ensuite pratiquée avant le tirage des monocristaux. » (Laguës, Beaudouin, Chapouthier 2017, 225).
-
49 Cette thèse principale s’appuie sur six
thèses associées. « Thèses associées :
1. une connaissance est la capacité d’effectuer une action dans un but donné.
2. un objet technique prescrit par sa structure matérielle des actions. L’objet technique est l’inscription matérielle d’une connaissance.
3. toute connaissance procède d’une genèse technique. Seule la répétition, prescrite par les objets techniques, de l’action permet d’engendrer la connaissance comme capacité à exercer une action possible.
la connaissance, engendrée par la technique, prescrit une transformation dans le monde des choses (l’objet technique est alors un instrument) ou une explicitation dans le monde des représentations (l’objet technique est alors une inscription sémiotique).
une pensée est une reformulation effectuée par la conscience sur le support corporel qu’est le corps propre. Penser, c’est s’écrire. Toute pensée, comprise comme reformulation, a pour cible de réécriture le corps propre, et comme origine, le corps propre ou une inscription externe quelconque.
la conscience est un pur dynamisme intentionnel, source des réécritures considérées comme des interprétations et non comme un mécanisme. » (Prié 2011, 14).
-
50 Sur la vulnérabilité des documents numériques, cf.
l’entrée « archivage numérique » de l’Encyclopedia
Universalis en ligne. URL :
https://www.universalis.fr/encyclopedie/archivage-numerique/3-la-vulnerabilite-des-documents-numeriques/
- 51 Pour approfondir sur les usages du smartphone, cf. Sonet 2012.
- 52 Comme l’écrit De Biasi, « le papier a partie liée depuis ses origines avec l’obsession du multiple et de l’analogon formel. Cette passion allographique pour la copie à l’identique a été celle du négoce et du pouvoir temporel avant de devenir le grand rêve de la culture du Texte. Paradoxalement, par sa fluidité et sa fragilité mêmes, le papier se prêtait mieux que toute autre substance au désir d’inaltérable. […] En devenant à la fois le support universel du texte imprimé et le média individuel de l’écriture, le papier introduit dans la graphosphère occidentale les éléments d’une dialectique riche d’avenir : l’invariant textuel comme universel et comme nouvelle figure de l’autorité du texte génère une nouvelle conception de l’écriture qui sera bientôt conçue, en terme d’originalité, comme le geste personnel d’un individu à la recherche du nouveau et comme le symbole du travail intellectuel. » (De Biasi 1997, 17).
- 53 L’invention de l’imprimerie se fait en Chine par Bi Sheng (990-1051), qui développe le premier système à caractères mobiles connu. Il fabriquait les types de caractères mobiles en argile, chaque type correspondant à un caractère. Après les avoir cuits, il enduisait une feuille de fer avec une pâte collante de resine de pin, cire et cendre ; il disposait sur la feuille un châssis sur lequel il disposait les types de caractères jusqu’à remplissage ; il chauffait la pâte pour la ramollir et pressait l’ensemble à l’aide d’un plateau de bois pour le rendre parfaitement plat. Enfin, il enduisait d’encre. En Corée, au XIII siècle, la fabrication des types en métal permet de remplacer l’usage des types en argile. Cf. Sabattini et Santangelo 2005, 376. L’invention de l’imprimerie à caractères mobiles occidentale est plus tardive (XV siècle) et indépendante par rapport à la première.
- 54 Voici un exemple : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/96/Kaja5-mini400.jpg?uselang=fr