Linguistique de l’écrit

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« Surtout ne plus employer l'infinitif de prescription! » ou de l'emploi de l'infinitif injonctif à l'oral alors qu'il devrait rester écrit

Mustafa Krazem

mercredi 4 décembre 2019

10:30 - 11:15

«L’importance du français parlé pour la description du français tout court»: ce titre d’un article de Claire Blanche-Benveniste est un vrai programme pour décrire les limites de l’opposition écrit/oral. A mon sens, cette opposition n’a pas lieu d’être en tant qu’opposition de système. Certes,il existe des différences mais elles ne sauraient être machinalement justifiées par le seul support de la langue. Il convientd’aller plus loin et se demander, d’une part,si les différences perçues le sont si radicalement qu’en première intuition, et (surtout), d’autre part, si ce qui explique une spécificité (de l’oral ou de l’écrit) n’est pas en réalité la trace d’un mécanisme moins apparent mais parfaitement commun à l’oral et à l’écrit. Lacommunication que je soumets se propose d’argumenter ce propos en prenant appui sur l’opposition entre l’impératif et l’infinitif de prescription.

Beaucoup d’enfants curieux de langue se sont demandé un jour ce qui différencient (a) et (b). Les remarques grammaticales sur cette question sont plutôt rares. On parle pour l’infinitif d’injonction atténuée ou bien non personnelle. Mais ces propos ne résistent pas à la réalité: «Ne pas traversez les voies» n’est pas plus injonctif que «ne pas traverser les voies»!

(a)Souligner le sujet en bleu et le verbe en rouge

(b)Soulignez le sujet en bleu et verbe en rouge

Quant à la notion de non personnelle, elle n’explique rien et ne fait que redire que l’infinitif n’est pas marqué par l’opposition de personnes grammaticale. Un autre élément descriptif, celui qui m’intéressera, est généralement avancé: l’infinitif, contrairement à l’impératif, n’est pas possible à l’oral. Dans des articles précédents, je propose, en comparantleur comportement dans de nombreux genres de discours, que c’est le statut du sujet de l’énonciation qui diffère. L’infinitif atténue (pour ne pas dire «efface») la présence du sujet de l’énonciation. Il en découle, outre une contradiction de facto avec le canal oral, un effacement des coordonnées spatiales du sujet qui oblige une actualisation du procès in situ au point qu’une ellipse de complément essentiel soit régulièrement observée(c). D’autres éléments vont dans le sens de l’effacement du sujet de l’énonciation comme la quasi absence avec l’infinitif du verbe «venir» (surtout en progrédience) parce que ce verbe contient le sème «ici», ou encore la quasi impossibilité d’un emploi itératif.

Ce n’est donc pas l’oral en tant que tel qui empêche l’infinitif, c’est une propriété de ce dernier. Cette propriété explique de façon directe ou indirecte les cas d’infinitif à l’oral dont ceux présentés par Sandfeld par exemple (d). Tous en réalité sont de l’oral «écrit».

Or, il s’avère, qu’on observe de façon de plus en plus conséquente, dans les commentaires sportifs des énoncés,du type (e). Ces infinitifs ne sont produits (quasiment) que lorsqu’ils’agit de soutenir les représentants français. Ces occurrences ne peuvent être décrites par l’absence du sujet de l’énonciation. De plus, il apparaît qu’elles sont aussi réalisées (rarement) à l’oral spontané (f) (une seuleattestation dans le CFPP 2000). J’essaierai donc de proposer une explication complémentaire qui convoque une autre propriété de l’infinitif, dans la suite des travaux de Guillaume, se conjuguant à l’influence de la structure des titres de presse sportifs lorsqu’ils précèdent les événements (g). L’infinitif se caractérise par la personne en formation. Il s’ensuit qu’il ne discrétise pas les différentes personnes sans pour autant les ignorer. De ce fait, l’injonction qui se trouve dans (e) s’adresse en réalité, par effet stylistique de «solidarité», à l’ensemble des téléspectateurs. Je montrerai les conséquences de ce point sur d’autres emplois, par exemple l’utilisation de l’infinitif dans les agendas personnels (h).

(c) Ne pas s’asseoir (sur un fauteuil) // ne pas stationner (sur une porte de garage)//ne pas jeter sur la voie publique (sur un prospectus)

(d) La reine saisit le papier, le tendit à Borovich: «Vite, vite, traduire et faire partir». (Daudet, Les Rois en exilcité par Sandfeld, 1942)

(e ) Allez ! le libérer ! (il s’agit d’un ballon en mêlée) (France-Galles TF1 16/10/11)

(f) parce que malheureusement rien et puis surtout ne pas ne pas faire des choses ponctuelles (CSPP 2000 5604.603-5606.102)

(g)Confirmer à domicile (Bien Public 01/12/07

(h) Prendre rendez-vous avec DrNo //??je prends/prendrai RV avec Dr No