A l’âge de l’entrée dans la lecture, soit autour de 6 ans, on observe un changement dans le choix des expressions référentielles mobilisées en récit (Bamberg, 1986; De Weck, 1991; Hickmann, 2002).Les enfants passent d’un mode de référence déictique, matérialisé notamment par un fort recours aux pointages, à un mode thématique qui consiste à focaliser le récit sur le personnage principal repris massivement en position sujet sous forme pronominale (Karmiloff-Smith, 1981, 1985). L’enfant exprime donc les relations de coréférence en récit avant d’apprendre à lire mais ce n’est qu’à partir de 7-8 ans qu’il commence à construire des anaphores au sens discursif (Bamberg, 1986;Karmiloff-Smith, 1985) (Corblin, 1995; Kleiber, 1994). Si le développement cognitif contribue à l’évolution du maniement des chaines référentielles en récit, l’entrée dans la langue écrite pourrait également avoir un impact sur cette acquisition. L’écrit, en tant que mode d’expression décontextualisé, fait un usage essentiellement anaphorique de la référence (Achard, 1988). Lorsqu’il entre dans la lecture, l’enfant bénéficie d’un nouveau modèle, non plus seulement auditif, mais visuel du maniement des chaines référentielles. Les possibilités de retour au sein du texte offertes par l’écrit permettent de se représenter les modes d’expression du nouveau et du connu en discours différemment de la langue parlée. Nous formulons donc l’hypothèse que le modèle offert par la langue écrite au moment de l’émergence de la lecture joue un rôle dans la diminution des conduites déictiques à partir de 6 ans.
30 enfants francophones âgés de 4;01 à 6;11 répartis sur trois groupes selon leur niveau à l’école française au début de la recherche (GI-MS ; GII-GS ;GIII-CP) ont été suivis pendant deux ans et filmés tous les trois mois alors qu’ils racontaient une histoire à partir d’un support imagé sans texte. Le niveau de lecture a été évalué à chaque session et un questionnaire destiné aux parents a permis de déterminer le rapport à la littéracie et l’exposition à la langue écrite au sein de la famille. Pour chaque enfant, six récits oraux ont été recueillis, les formes utilisées pour évoquer les référents ont été codées selon leur position sur la chaine référentielle (introduction, maintien, réintroduction). Le choix des expressions référentielles a ensuite été mis en relation avec l’évolution du niveau de lecture de l’enfant et la place accordée à la littéracie et aux récits dans sa famille.
Les premiers résultats montrent que les enfants qui mettent le plus de temps à produire des récits cohérents tendent aussi à partager moins de moments de lecture en famille. Cependant, tous les enfants peu exposés à la langue écrite avant l’âge scolaire ne partagent pas ces difficultés et les enfants les plus exposés ne présentent pas d’habiletés supérieures pour exprimer la référence.En revanche, l’aisance en lecture semble positivement reliée aux capacités à utiliser les expressions référentielles. Les enfants lecteurs qui présentent d’emblée de solides compétences en lecture sont plus rapides à s’appuyer sur le déjà dit et les connaissances partagées par l’interlocuteur dans le choix des formes. A l’inverse, les enfants plus longs à mettre en place des automatismes de lecture présentent davantage d’usages déictiques et une persistence plus longue de la stratégie thématique. Ces résultats mènent à discuter des fortes relations de dépendances et d’influences entre les capacités orales et écrites