Linguistique de l’écrit

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Revue | Volume | Article

172747

De l'idéalisme dans les théories du langage

Histoire d'une transition

Lia Formigari

pp. 59-80

Résumé

Une analyse de textes tels que l'essais de Fichte Von der Sprachfahigkeit und dem Ursprung der Sprache (1795), les Briefe iiber Poésie, Silbenmass und Sprache de A.W. Schlegel (1795), ou VEinleitung in der Philosophie der Mythologie de Schelling (1826), nous montrent la nature du dispositif par lequel une coupure se produit entre la linguistique des Lumières et la philosophie du langage de &Romantïk. Ce qui fait la différence entre les deux perspectives, malgré leur continuité matérielle, est l'introduction de la notion de subjectivité transcendentale dans la théorie du langage. Une des conséquences de ce changement de point de vue est que la médiation linguistique, que la tradition empiriste avait considérée comme la condition essentielle de toute activité du sujet, est envisagée maintenant comme l'œuvre d'un esprit qui est en lui-même actif ou«spontané». Le postulat d'une structure apriori de la subjectivité (c'est-à-dire d'un dispositif de représentation indépendant de l'expérience) équivaut en effet à l'affirmation de l'autonomie de ce dispositif vis-à-vis de la contingence des pratiques linguistiques. Le propre de la philosophie humboldtienne est la tentative de réconcilier la spontanéité du sujet avec le rôle conditionnant du langage. Il s 'agit cependant d'un rôle qui n'est pas à son tour conditionné (comme il l 'était, par exemple par l 'expérience préverbale, dans la philosophie des Lumières): le langage comme forme, ou Sprachform, en effet, précède toute manifestation externe de la vie intellectuelle et en représente l'essence idéelle. La pensée est donc encore une fois conditionnée par le langage, mais seulement parce que le langage lui- même est le porteur des structures formelles, a priori, ou transcendentales, de la subjectivité. Cette dualité de la philosophie du langage de Humboldt, qui le pousse à aborder toujours le langage d'une double perspective - une perspective empirique et une perspective transcendentale, ou autrement, dit, une «historische Ansicht» et une «philosophische Ansicht» - fut dénoncée par un des ses premiers disciples, Heymann Steinthal, dont l'essai Uber den Idealismus in der Sprackwissenchaft ( 1 860) est examiné ici comme une tentative d'exclure la notion de subjectivité transcendentale comme condition du discours, en ramenant ainsi la théorie du langage dans une perspective phénoméniste. Ce passage du phénoménisme des Lumières à 1 ' idéalisme et ce retour au phénoménisme dans la théorie du langage nous suggère des réflexions non seulement sur la transition de la philosophie des Lumières à l'idéalisme, mais aussi à propos du rôle de l'argumentation transcendentale telle qui recourt dans la théorie du langage.

Détails de la publication

Publié dans:

(1988) Stratégies théoriques. Histoire Épistémologie Langage 10 (1).

Pages: 59-80

Citation complète:

Formigari Lia, 1988, De l'idéalisme dans les théories du langage: Histoire d'une transition. Histoire Épistémologie Langage 10 (1), Stratégies théoriques, 59-80.