Linguistique de l’écrit

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L'usage des blancs typographiques

Tympan (1972) et Glas (1974) de Jacques Derrida

Rossana De Angelis(Ceditec, Université Paris-Est Créteil)

Résumé

Envisagé en tant qu’écrit, le texte se présente comme un objet linguistique qui occupe un espace. Cet espace n’est pas seulement celui de la ligne d’écriture, mais aussi celui bi- ou tri-dimensionnel de son support. Des nouvelles approches du texte, cherchant à concilier théories de l’écriture et théories du texte, sont issues de cette réflexion. Au sein de ces approches, l’écriture est envisagée notamment en tant qu’inscription, ce qui suppose une conscience de la relation entre l’écrit et son support. Nous allons donc nous pencher sur l’analyse de cette relation, en particulier dans certains essais de Jacques Derrida, « La dissémination » et « La double séance » (1972), « Tympan » (1972), Glas (1974). Les solutions typographiques adoptées supposent une certaine théorie de l’écriture : l’écriture est inscription dans sa double acception de pratique et de trace. Ceci relève notamment d’une distribution singulière et anormale des blancs typographiques. Utiliser les blancs en brisant les règles typographiques standards devient un geste significatif. Cette pratique révèle donc une énonciation éditoriale pleine de sens.

La page écrite, imprimée, met en jeu, comme toute pratique du langage, une théorie du langage et une historicité du discours, dont la pratique est l’accomplissement, et la méconnaissance.
C’est l’enjeu de la typographie.
(H. Meschonnic, Critique du rythme, [1982] 2009, p. 299)

1. L’énonciation typographique : un cas particulier de l’énonciation éditoriale

1Envisagé en tant qu’écrit, le texte se présente comme un objet linguistique qui occupe un espace. Cet espace n’est pas seulement celui de la ligne d’écriture, mais aussi celui bi- ou tri-dimensionnel de son support. Des nouvelles approches du texte, cherchant à concilier théories de l’écriture et théories du texte, sont issues de cette réflexion (Cf. De Angelis, 2016). C’est le cas, par exemple, de la textologie.

2Roger Laufer introduit le terme de textologie au sein des disciplines du langage en France1, en proposant un nouveau point de vue dans l’étude des textes. Cette approche, étudiant « les conditions générales d’existence des textes », prend place entre les domaines linguistique et littéraire, bien qu’elle reste plus proche du premier. « La textologie se situe donc dans l’étroit domaine qui sépare les textes d’eux-mêmes et ne départage qu’une frange de leur signification » (Laufer, 1972 : 8). Selon cette approche, l’écriture, en général, et la typographie, en particulier, se révèlent comme moyens de transformation de la culture2.

Le texte est un produit matériel. [...] Les ressources limitées de la typographie et les normes des ouvriers typographes ont imposé des contraintes historiques précises à l’écrivain, et, bien davantage que l’orthographe, ont fixé la notion même de texte. (Laufer, 1972 : 153)

3Conçu en tant que produit d’une pratique d’écriture, et plus précisément d’une pratique typo-graphique, le texte suppose donc un support. « Un texte est nécessairement porté par un objet » (Laufer, 1972 : 7). Si le texte est porté par un objet, il peut occuper un espace. Et si le texte est le produit d’une pratique d’écriture, cet espace sera organisé par l’écriture elle-même : « L’espace du texte est graphique » (Laufer, 1972 : p. 9). Au sein de la textologie on voit naître alors le concept d’« espace graphique ».

4La textologie vise donc à contrôler le processus de textualisation des textes, ce qui est une mise en texte correspondant à une mise en page. Elle cherche à assurer le bon usage des signes typographiques dans les textes imprimés, mais aussi à surveiller le travail en vue de la première édition : il est question de variantes, d’annotations, de commentaires. « Elle est une sémiologie scientifique des textes parce qu’elle néglige la signification humaine, philosophique, etc. au profit du sens opératoire des signes en tant qu’ils fondent l’espace de la textualité » (Laufer, 1972 : 9).

5Dans un paragraphe explicitement consacré à l’espace graphique, Laufer explique comment envisager la relation entre le texte et la page : l’utilisation des marges, les différentes manières d’employer les caractères, etc.

La difficulté à laquelle on se heurte dès qu’on présente des variantes complexes vient de la nature même du texte et de l’espace graphique. Dès que le texte d’auteur cesse d’être unique, il ne tient plus dans l’espace graphique linéaire à deux dimensions. Les variantes complexes présentées en bas de page n’ont de sens que par rapport au texte idéal qui les appelle.(Laufer, 1972 : 79)

6Cette affirmation renvoie à la distinction proposée par le même auteur entre « texte de base » (copy texte) et « texte idéal » (ideal copy). Le fait que le texte soit conçu premièrement comme un produit d’une pratique d’écriture représente ainsi le principe fondamental du travail de Laufer (1972, 1987, 1989).Par le terme scripturation (Laufer, 1980) il identifie alors l’ensemble des procédés scripturaux concernant à son tour un ensemble spécifique de signes d’énoncéet de marquesd’énonciation mis en place par les différents corps de métiers travaillant sur les textes. La typographie a une fonction communicationnelle, comme le montre Souchier (2006), en représentant une composante fondamentale du texte. Ainsi, le concept d’« énonciation typographique » (Laufer, 1986) s’impose lentement.

7Cette approche du texte permet de situer – et de comprendre – le concept d’énonciation éditoriale supposé par cette étude.

[L]’expression énonciation éditoriale possède deux acceptions contradictoires et complémentaires à la fois. La première émane de l’histoire de l’édition et des sciences de l’information-communication ; tenant le texte pour acquis, elle étudie essentiellement la projection extralinguistique du livre dans son environnement économique, politique, social et culturel. Pour les tenants de ce point de vue, l’énonciation éditoriale relève de la transformation du texte en livre. […] Pour les tenants du second, l’énonciation éditoriale relève de la mise en mots : elle est la part d’édition que l’auteur incorpore à sa façon d’écrire (au rythme de ses mots, de ses phrases, de ses paragraphes) pour anticiper sur la lecture de l’œuvre. (Arabyan, 2016a : 9)

8Ces deux sens de l’expression « énonciation éditoriale » ont été développés respectivement par Emmanuël Souchier (1998a, 1998b, 2007) et Marc Arabyan (2000, 2008, 2012a, 2016a, 2016b). Leurs travaux ont été développés dès leur participation au Centre d’Etude de l’Ecriture et de l’Image fondé et dirigé par Anne-Marie Christin ([1995] 2009) à l’Université Denis-Diderot Paris 7, dont les recherches ont souligné le rôle joué par l’espace graphique dans tout processus de signification.

9Le concept d'énonciation éditoriale naît dans le cadre de la génétique textuelle et de la critique littéraire, « dont elle s’est nourrie puis affranchie par nécessité sémiologique et communicationnelle » (Souchier, 2007 : 24). Toutefois, actuellement, ce concept répond surtout au besoin de comprendre la genèse de tout objet textuel.

10Les traces inscrites sur la surface d’inscription sont des marques énonciatives issues de plusieurs sujets : l’auteur, l’éditeur, l’imprimeur, le distributeur, la presse… Tous ses sujets interviennent différemment dans le processus de transformation du texte dans une œuvre, dès sa conception, à sa production, circulation et, enfin, à sa réception. Selon Souchier, on peut reconnaîtreles sujets énonciateurs dans des éléments graphiques de différentes natures : « le nom et le titre des revues, leur lieu d’édition, le nom de leurs directeurs ainsi que celui des signataires[…] de nouveaux partenaires s’affichent, marquant la polyphonie de l’énonciation éditoriale : éditeurs, illustrateurs, typographes ou maquettistes... » (Souchier, 1998a : 139).

11De cette manière, l’énonciation éditoriale se caractérise, d’un côté, par « la pluralité des instances d’énonciation intervenant dans la constitution du texte » (Souchier, 1998a : 141), c’est-à-dire sa polyphonie constitutive ; de l’autre côté, par le fait qu’elles sont tellement déterminantes dans les pratiques de production et réception d’un objet textuel qu’elles ne sont plus perçues en tant que marques.

L’une des fonctions premières de l’énonciation éditoriale est de donner le texte à lire comme activité de lecture (c’est sa dimension fonctionnelle, pragmatique ; on parlera alors de lisibilité). Dans un deuxième temps, elle s’inscrit dans l’histoire des formes du texte et par là même implique un certain type de légitimité ou d’illégitimité. L’énoncé de cette « énonciation » n’est donc pas le texte (le discours de l’auteur), mais la forme du texte, son image ; c’est le texte considéré comme objet concret et qui a été configuré à travers cette activité plurielle qu’est l’énonciation éditoriale. (Souchier, 1998a : 145)

12De cette manière, porter l’attention sur cette dimension du texte « permet d’échapper à l’opposition entre le “texte virtuel” et le “texte réel”, pour comprendre comment la sémiotisation du texte s’opère dans les processus matériels de sa mise en forme. » (Jeanneret & Souchier, 2005). Autrement dit,

l’image du texte [Souchier 1998a] n’est pas seulement la médiation d’un sens ou d’un usage placé dans un ailleurs, elle est aussi – et surtout peut-être – la part constitutive de l’écriture typographique, de l’énonciation éditoriale. […] la part formelle instituante. (Souchier, 2007 : 31)

13En assumant la perspective de Marc Arabyan, en revanche, «[o]n peut définir l’énonciation éditoriale comme la synthèse des traces de l’édition du livre sur l’œuvre publiée et des traces de l’anticipation par l’auteur des formes de l’édition. » (Arabyan, 2016a : 21). De cette manière, l’énonciation éditoriale concerne à la fois des marques autographes – celles de l’auteur du texte anticipant la réception de la part du lecteur – et des marques allographes – celles de l’éditeur, de l’imprimeur, du diffuseur, de la presse, etc. – qui se rajoutent pendant le processus de transformation du texte dans une œuvre, en le plaçant ainsi dans un contexte communicatif précis, et qui font ainsi de cet objet le produit d’une énonciation collective, voire polyphonique, comme le dit Souchier.

L’énonciation éditoriale se présente alors tout d’abord comme un processus de médiation entre l’auteur et le lecteur, mis en place par l’auteur lui-même.

14L’énonciation éditoriale n’est pas un enrichissement apporté par l’éditeur au texte de l’auteur : c’est l’anticipation de l’édition par l’auteur qui incorpore cette dimension culturelle et technologique du livre ou de la presse à son écriture (Arabyan 1994, Arabyan 2012).(Arabyan, 2016b : 139)

15Et c’est la perspective adoptée dans cette étude.

16Du point de vue linguistique, l’énonciation éditoriale se réalise à travers une série d’actes qui témoignent d’une « conscience graphique » (Christin, 1982 :10), c’est-à-dire une gestion consciente de la disposition des éléments graphiques sur la page afin de rendre significative l’organisation de l’espace graphique (Christin, [1995] 2009). Tout geste d’ajustement de l’écrit, de la colonne, de la ligne, de l’interlignage, bref de la disposition du texte dans l’espace graphique, répond à une connaissance tacite des règles typographiques propres à une certaine culture (De Angelis, 2011). Tout comme les règles linguistiques, les règles typographiques sont soumises à variation. En revanche, la normalisation de ces règles les ancrent dans un contexte socio-historique précis. Leur usage est donc un véritable acte d’énonciation. L’assimilation de ces règles, de même que pour les règles grammaticales, à travers une pratique de lecture réitérée dès l’enfance, fait que l’on peut parler d’un acte d’énonciation éditoriale – concernant les règles typographiques de la mise en page – comme l’on peut parler plus généralement d’un acte d’énonciation linguistique – concernant les règles grammaticales de la mise en texte à l’écritet à l’oral.

Il s’agit bien dans cette énonciation éditoriale d’une « mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d’utilisation », mais cet acte individuel tend vers un acte collectif (auteur, graphiste, sources de l’auteur, etc.), et la mise en fonctionnement ne se limite pas à la langue (sans l’évacuer non plus) mais s’étend à toutes les formes de matérialités prises en charge habituellement par les agents éditoriaux (fabrication, commercialisation…). (Bikialo, 2016 : 86)

17Comme le montrent les derniers ouvrages consacrés à ce sujet3, on peut envisager les propositions d’Arabyan et de Souchier comme expressions de deux points de vue différents et complémentaires : respectivement, le point de vue de l’auteur, considéré comme l’acte d’énonciation prenant en charge la partie éditoriale de l’écriture, et le point de vue de l’éditeur, considéré comme le travail de transformation d’un texte pré-établi dans un livre.

18Stéphane Bikialo propose de « distinguer l’énoncé éditorialisé de l’énonciation éditoriale proprement dite » (Bikialo, 2016 : 70, nous soulignons) :

La poétique du support4, ou l’énonciation éditoriale (Arabyan), se distingue de l’énoncé éditorialisé (Souchier), en ce qu’elle se situe non au niveau de la réception (comme dans les travaux de Roger Chartier5), ou des agents éditoriaux (comme chez Souchier) mais de la production auctoriale prise au moment de la genèse de l’œuvre.(Bikialo, 2016 : 72)

19Les énoncés éditorialisés sont produits « dans un second temps, par des agents éditoriaux distincts de l’énonciateur-auteur premier» (comme selon la position de Souchier),alors que l’énonciation éditoriale est l’acte pendant lequel « l’énonciateur-auteur intègre et prévoit les contraintes matérielles, éditoriales de son discours » dans l’espace du livre(comme selon la position d’Arabyan). Notre étude de cas se limite à cette deuxième acception.

2. La superposition entre texte et écriture, ou les théories du Texte absolu

20Comme nous avons eu l’occasion de montrer ailleurs (De Angelis, 2016), la superposition des deux notions de texte et d’écriture – en transitant par la notion de « texture » – porte à l’affirmation des théories du Texte absolu.

21À l’entrée « (Théories du) Texte » écrite pour l’Encyclopédie Universelle, Roland Barthes affirme que le texte « (ce n’est, après tout, qu’un objet, perceptible par le sens visuel) [...]. Lié constitutivement à l’écriture (le texte, c’est ce qui est écrit) » (Barthes, 1973a : 443).

22Comme le dit l’auteur,

l’œuvre se tient en main, le texte se tient dans le langage : il n’existe que dans un discours (ou plutôt il est Texte par cela même qu’il le sait) ; le Texte n’est pas la décomposition de l’œuvre, c’est l’œuvre qui est la queue imaginaire du Texte. Ou encore : le Texte ne s’éprouve que dans un travail, une production. Il s’ensuit que le Texte ne peut s’arrêter (par exemple, à un rayon de bibliothèque) ; son mouvement constitutif est la traversée (il peut notamment traverser l’œuvre, plusieurs œuvres). (Barthes, [1971] 1984 :71)

23Cette conception du Texte (en majuscule) en tant que « travail » et « production » – du langage et par le langage lui-même – fait du texte (en minuscule) une sorte d’objet empirique toujours en train de se faire. Ce qui peut être reconnu en tant que Texte est donc ce concept même de travail inachevé et inachevable au sein du langage, une production perpétuelle du langage par le biais des sujets parlants et des lecteurs : « le Texte est ce qui se porte à la limite des règles de l’énonciation (la rationalité, la lisibilité, etc.). » (Barthes, [1971] 1984 : 71)

24Isolable des sujets et des contextes, le texte devient alors un Texte : c’est en envisageant cet écart que l’on peut comprendre la notion mentionnée de Texte absolu. La superposition entre le texte et l’écriture est donc la raison de l’autonomie du Texte : par exemple, les processus d’espacement que l’on observe dans l’écriture conçue en tant que pratique d’inscription du texte sur un support rendent évidente la possibilité du renvoi d’un texte à l’autre sans que l’on puisse prédéterminer la fin de ce mouvement. « Pendant un moment, il pouvait sembler que l’idéologie du texte absolu ne laissait plus de place que pour des choses-textes » (Greisch, 1987 : 10). La notion de texte vient alors au premier plan grâce à la superposition avec celle d’écriture, ce qui permet aussi de l’envisager comme tissu et/ou texture. La métaphore du tissu ou de la toile d’araignée, par exemple, permet à Barthes (1973b) de parler d’ « hyphologie »6 et d’envisager ainsi une discipline des textes.

25À partir de la conception du texte comme tissu, c’est-à-dire « un produit, un voile tout fait » par des fils qui s’entrecroisent, Barthes passe ensuite à la conception du texte comme texture en évoquant ainsi la pratique même de tisser et, par le biais de celle-ci, « l’idée générative que le texte se fait » dans un travail perpétuel du langage sur lui-même. (Barthes, [1971] 1984.1973a)

26Néanmoins, Barthes n’est pas le seul à réfléchir à cette époque sur le texte comme tissu et texture. Cette réflexion est présente aussi chez Jacques Derrida.

À tel supplément près, nos questions n’auront plus à nommer que la texture du texte, la lecture et l’écriture, la maîtrise et le jeu, les paradoxes de la supplémentarité aussi et les rapports graphiques du vivant et du mort : dans le textuel, le textile et l’histologique. Nous nous tiendrons dans les limites de ce tissu : entre la métaphore de l’istos et la question sur l’istos de la métaphore.(Derrida, 1972a : 73)

27Derrida propose en effet une équivalence entre « le textuel, le textile et l’histologique » à partir du grec istos renvoyant à son tour à la métaphore textile.

Istos, ou, propr. objet dressé d’où : I mât de navire. II rouleau vertical chez les anciens, non horizontal comme chez nous (sauf aux Gobelins et aux manufactures de l’Inde), d’où partent les fils de la chaîne sur un métier de tisserand, d’où 1. métier de tisserand ; 2. p. suite, la chaîne fixée sur le métier d’où la trame ; 3. tissu, toile, pièce de toile ; 4. p. anal. toile d’araignée ; ou cellule d’abeille. III baguette, verge. IV p. anal. os de jambe. (Derrida, 1972a :73, n. 1)

28Derrida avait déjà utilisé ailleurs le terme « histologie » dans une acception qui vient du monde du vivant : « La distinction entre les catégories de neurones “n’a aucune assise reconnue, du moins quant à la morphologie, c'est-à-dire à l’histologie” » (Derrida, 1967a : 303). Dans ce cas, le terme évoque celui de forme.

29Néanmoins, cette image « textile » du texte suppose la médiation de l’écriture. Les approches de Barthes, en littérature, et de Derrida, en philosophie, sont en effet les plus représentatives de ce que l’on peut reconnaître comme théories du Texte absolu : l’identification entre texte et écriture permet de rendre visible cette image « textile » du texte et de reconnaître dans le signifiant linguistique le garant de l’interprétation textuelle.

30Selon cette perspective, théorie du texte et théorie de l’écriture vont de pair. Le texte considéré premièrement en tant qu’écrit devient autonome par rapport aux pôles ontologiques extratextuels (l’auteur, le lecteur, le monde) auxquels il est néanmoins toujours en relation. Lorsque la notion d’écriture est absorbée par celle de texte, on ouvre la voie à une notion de Texte absolu : en s’identifiant avec l’écriture, le texte se présente à la fois comme le produit et la pratique dont il est le produit. Une théorie du Texte absolu suppose alors une référence continue aux théories de l’écriture centrées sur les possibilités heuristiques offertes par le support à la textualisation du texte. Certains essais de Derrida (1972a, 1972b, 1974) portent au premier plan la relation entre le texte et son support. Cette relation est mise en valeur par une pratique d’écriture qui rend le texte visible. Ces textes représentent en fait des cas exemplaires de ce que l’on entend par Texte absolu.

3. Une étude de cas

31L’écriture est envisagée en tant qu’inscription, ce qui suppose une conscience de la relation entre l’écrit et son support. Cette conscience de l’« espace graphique » (cf. supra) est évidente, notamment dans « La dissémination » et « La double séance » (Derrida, 1972a), « Tympan » (Derrida, 1972b), Glas (Derrida, 1974).

32Dans les essais évoqués, Derrida montre une attention particulière pour la manière d’éditer les textes. Les choix typographiques supposent à leur tour une certaine théorie de l’écriture : l’écriture est inscription dans sa double acception de pratique et de trace, ce qui suppose de considérer autrement, dès le début, la relation entre le texte inscrit et son support. Cette mise en texte particulière relève d’une mise en page particulière, c’est-à-dire d’une distribution singulière et anormale des espaces blancs, des vides et des morceaux de texte sur la page.Gérer le blanc fait partie de l’apprentissage de l’écriture.7 Toutefois, utiliser les espaces blancs en brisant les règles typographiques standards devient significatif, tout en mettant en valeur l’énonciation éditoriale (cf. infra), et plus particulièrement typographique, dont les textes se composent.

33Comme nous le verrons dans les pages suivantes, dans les textes de Derrida, le blanc introduit un manque, permet l’inscription d’un vide, en faisant devenir visible la rature de la présence, et donc la rature de l’être (« est  ») caractérisant depuis le début la réflexion de l’auteur sur l’écriture (Derrida, 1967a, 1967b). Le blanc devient une irruption de la contradiction dans la relation entre théorie du texte et théorie de l’écriture : c’est l’inscription d’une absence, de ce qui par principe ne peut pas être inscrit dans un texte.

34Les textes dont on vient de parler (Derrida, 1972a, 1972b, 1974) ne vont pas attribuer à l’écriture une valeur iconique, car elle ne devient jamais image tout en restant visible. En revanche, cette théorie du Texte absolu (cf. supra) rend visible la textualité en tant que telle, en portant au premier plan le texte en tant que texte, c’est-à-dire en faisant devenir visible la « condition textuelle » (Mc Gann, 1991), car les textes sont d’abord des écrits : l’écriture se rend visible en tant qu’écriture, en portant au premier plan le texte en tant que Texte, lorsqu’il se présente à nous par le biais d’une écriture. La mise en abîme de l’écriture en tant qu’écriture permet la mise en abîme du texte en tant que texte. Cette double mise en abîme permet alors de faire devenir l’écriture une Écriture et le texte un Texte.

3.1. L’usage du blanc typographique dans la mise en page de Tympan de Jacques Derrida

35L’attention consacrée par Jacques Derrida à l’écriture se révèle dès ses premiers ouvrages comme dans le succès remporté par l’usage du terme « grammatologie », repris à Ignace J. Gelb(1952).

36Une attention particulière est consacrée à la pratique typographique notamment dans certains essais parus au début des années 1970. L’énonciation éditoriale se présente comme une composante dont il faut tenir compte pendant le processus de reconstruction du sens de chaque texte.

37Prenons le cas de Tympan. Ce texte se construit autour de l’idée de cadre, de marge. « Ce texte-ci peut-il devenir la marge d’une marge ? » (Derrida, 1972b : XIX). En effet, il est placé au début d’un recueil intitulé Marges de la philosophie (1972).Il se construit donc dans une tension permanente avec le blanc définissant l’empagement, délimitant par conséquent le cadre du discours qu’il expose, et le blanc divisant les deux colonnes d’écritures. Toute mise en page commence par l’établissement des marges8.

38L’écriture nécessite le tracé de ses propres limites, celles du monde naturel imposés par le support et celles de la page proprement dite. Définir un cadre, c’est définir une fonction et un mode opératoire. Dessiner un cadre, c’est extraire son corps du chaos. C’est être, du point de vue de l’espace. Tracer les limites est un acte ontologique. La page se définit ainsi en ses cadres et jeux de régleurs […] La notion de cadre définit donc l’espace de la page au-delà de l’unité physique du document. (Souchier, 1999 : 23).

39Dans Tympan, il est question justement de cadre. Pour comprendre les enjeux de cette énonciation éditoriale particulière, il faut tout de suite rappeler la polysémie du terme « tympan ». Pendant la lecture de cet essai, deux acceptions s’imposent tout de suite : le tympan pris dans le sens de l’organe qui gère la relation entre l’oreille et le monde ; le tympan pris dans le sens d’instrument musical. Ces deux images imposent une référence à la voix, au son, à la dimension « phonique » de l’expérience humaine. Et autour de ces concepts se construit le discours sur le phono-logocentrisme, remis en cause par l’irruption de l’écriture, question majeure dans la réflexion de Derrida. Cette irruption rappelle alors une acception typographique du terme tympan, à laquelle l’auteur renvoie explicitement (Derrida, 1972b : XXII-XXIII).

40En effet, le tympan est un volet mobile composant une presse typographique sur lequel on fixe la feuille de papier, qui se rabat par des charnières sur la forme, c’est-à-dire la partie qui reçoit l’encre et qui sert donc à imprimer. Il est garni d’un blanchet – une épaisseur de tissu, de cuir ou de papier – qui s'interpose entre la platine – la pièce de fonte qui, abaissée sur la forme de composition, produit l’impression– et la feuille à imprimer, pour répartir et atténuer la dureté du foulage, la déformation en creux du papierà cause de l’impression opérée par les caractères en relief. Ensuite, on ajoute un second volet, la frisquette ou petit tympan, c’est-à-dire un cadre qui sert à maintenir la feuille sur le tympan et qui, garni d'un papier fort, d’un parchemin ou de métal, découpé selon la forme imprimante dans les parties qui recevront l'impression, pour maintenir en place la feuille de papier recevant la dite impression et en même temps protéger les marges des taches d’encre toujours possibles.L’ensemble constitué par le tympan et la frisquette est souvent identifié tout simplement comme « tympan », en différenciant le « grand tympan » du « petit tympan ».

En termes de presse manuelle, il n'y a pas, donc, un tympan, mais plusieurs tympans. Deux châssis, de matière différente, généralement de bois et de fer, s’enclavent l'un dans l'autre, se logent, si l'on peut dire, l'un dans l'autre. Un tympan dans l’autre, l'un en bois l'autre en fer, un grand et un petit. Entre les deux, la feuille. Il s’agit donc d'un appareil et l'une de ses fonctions essentielles sera le calcul régulier de la marge. (Derrida, 1972b : XXII)

41Tympan expose un discours se développant autour de deux axes : respectivement, la philosophie et le logocentrisme. Ces deux axes se développent en parallèle, raison pour laquelle Tympan se compose de deux colonnes d’écriture séparées par un espace blanc : celle de gauche est un texte autographe ; celle de droite un texte allographe.

42Plus précisément, il s’agit d’un texte de Michel Leiris tiré de son œuvre Biffures : La règle du jeu I (1948) – apparemment source d’inspiration du discours derridien – et qui est aussi auteur des calligrammes publiés dans le Glossaire : j’y serre mes gloses (1939). Il faut rappeler à cette occasion que Michel Leiris développe à son tour une réflexion sur le langage bien connue par Derrida. Dans le texte rapporté, l’auteur construit une image évoquée par l’analogie entre Perséphone9 et le perce-oreille10. La réflexion de Leiris se déroule comme une spirale, et s’achève dans un discours autour de l’ouïe et de la voix en évoquant les termes phoné et oreille.

43Dans la colonne de gauche, Derrida développe une réflexion autour du concept de limite. Pris dans son acception biologique, le tympan est une membrane ; pris dans son acception typographique le tympan impose des marges. Ceci rappelle donc en même temps la contrainte et son dépassement. Dans cette colonne d’écriture, Derrida développe une réflexion sur le discours philosophique comme travail perpétuel sur « [le] concept de limite et à la limite du concept » (Derrida, 1972b : IX). La philosophie est un discours sur les marges, les limites, l’autre. En effet, le concept de limite évoque aussi celui de passage : « limite/passage », écrit l’auteur dans la deuxième page de cet essai.

44La réflexion autour du discours philosophique développée dans Tympan tourne donc autour des deux concepts de limite et de marge. Cette réflexion se réalise matériellement dans la mise en page particulière du texte, et plus précisément dans la fonction significative des blancs, des bords, des marges. Derrida nous offre alors un équivalent typographique du discours philosophique. Cette mise en page se charge de signification : l’énonciation éditoriale révèle une partie du sens du texte.

Cela ne revient pas seulement à reconnaître que la marge se tient dedans et dehors. La philosophie le dit aussi : dedans parce que le discours philosophique entend connaître et maîtriser sa marge, définir la ligne, cadrer la page, l'envelopper dans son volume. Dehors parce que la marge, sa marge, son dehors sont vides, sont dehors : négatif dont il n'y aurait rien à faire, négatif sans effet dans le texte ou négatif travaillant au service du sens, marge relevée (aufgehobene) dans la dialectique du Livre. (Derrida, 1972b : XX)

3.2. L’usage du blanc typographique dans la mise en page de Glas de Jacques Derrida

45La pensée de Derrida se développe autour de la notion d’écriture se dressant contre celle de voix, en opposant ainsi au phonocentrisme le logocentrisme – caractérisant l’histoire de la pensée occidentale – à un graphocentrisme synthétisé dans la notion de grammatologie. Sur la page de Glas on voit une mise en abîme de sa théorie de l’Ecriture (Derrida, 1967a) : des coups de hache tronquent les mots et la page, en la divisant en deux colonnes d’écriture. « Tronquées, par le haut et par le bas, taillées aussi dans leur flanc: incises, tatouages, incrustations » (Derrida 2006 : 38). Cette mise en page nie toute sorte de correspondance entre une pratique d’écriture et une pratique de lecture : en face de cette page il faut alors s’interroger sur la valeur de cette tension.

46La composition de la page de Glas représente une mise en scène appropriée d’une théorie du langage particulière inspirée par celle de la page talmudique11. Le Talmud et Glas reposent sur la même idée : il n’y a pas de savoir absolu – SA, comme l’indique Derrida – établi par une seule pratique de lecture, mais un ensemble de pratiques de lecture faisant rencontrer un ensemble d’interprétations qui en découlent12. Ces pratiques dépendent de la disposition des signes sur la page. Derrida semble emprunter à la page talmudique les critères de composition sur lesquels repose le caractère sacré du texte de la tradition hébraïque pour effectuer, au contraire, une action désacralisante autour du concept de « Savoir Absolu ».

47L’écriture de Glas rompt continuellement l’unité traditionnelle du texte : en fragmentant l’unité de la page, elle fragmente aussi l’unité de l’argument, l’unité du discours, et finit par remettre en question la cohérence et la cohésion comme critères de la textualité. L’impossibilité de posséder le sens du texte, et donc le texte lui-même, se traduit par l’impossibilité d’accéder à une connaissance certaine et univoque, et tout cela étant montré par une composition graphique particulière.

48Dans l’œuvre de Derrida, l’écriture se présente essentiellement comme inscription qui génère une trace. Ceci permet d’envisager la relation entre la pratique d’écriture et le support graphique comment une composante essentielle de tout objet textuel. Les concepts derridiens d’archi-écriture et de différance trouvent leurs correspondants matériels dans l’espace graphique, notamment à travers une disposition a-normale des blancs typographiques. Sur la page Glas, le blanc acquiert une double valeur : empirique et théorique. Le blanc typographique introduit un manque, une absence, inscrit le vide sur le support graphique, en niant la présence du signe graphique. Il s’agit donc d’une pratique typographique en soi contradictoire, car elle permet d’inscrire dans l’espace de la page le vide de l'écriture, en transformant le manque en une trace. Le blanc construit une attente : ce manque demande à être comblé. Le blanc sépare, et donne au lecteur le pouvoir de rapprocher ; il divise, et donne au lecteur le pouvoir de réunir. Il affiche ainsi son ambivalence : pour l’œilcomme pour l’oreille,l’intervalle permet au texte d’acquérir cohésion et cohérence grâce au travail fait par le lecteur. Le texte devient d’autant plus plein qu’il est davantage habité par le vide. Le blanc s’énonce. Et le texte s’énonce à travers le blanc.

49Il ne s’agit donc pas d’introduire un équivalent visuel du silence, comme c’est le cas dans certains usages symboliques du blanc typographique dans la poésie moderne et contemporaine13, qui participent à la structuration rythmique du poème. En effet, en poésie la disposition des blancs sur la page rend visible le passage du vers de la dimension de l’oralité à celle de l’écriture, en transformant le mouvement de la paroleaccentuée dans le mouvement de la parole spatialisée. Dans ces cas-là, l’énonciation typographique représente un équivalent direct de l’énonciation orale. Il ne s’agit pas non plus de la valeur du blanc comme indicateur générique, comme dans la poésie en général, ni de sa valeur picturale, comme dans les calligrammes.

50La page de Glas est composée par deux colonnes d’écriture14, incrustées de fragments, qui abritent des commentaires renvoyant aux œuvres de Hegel – le philosophe – et de Jean Genet – le dramaturge – qui ne sont pas présentes dans le texte, mais toujours évoquées in absentia.

51Ceci est le même principe régulateur du Talmud15, c’est-à-dire du deuxième texte fondamental – après la Torah – de la tradition juive : un texte fait de commentaires renvoyant à un autre texte – la Torah – qui n’est pas présent, mais toujours évoqué in absentia. Un premier mouvement intertextuel dû à la non-présence des textes évoqués est mis en abîme dans l’espace graphique de la page de Glas comme dans la page du Talmud. Le lecteur est renvoyé d’un texte à l’autre : un autre texte présent sur l’espace graphique de la page ; un autre texte évoqué par le premier. La rupture du corps du texte – la rupture de son intégralité – par l’insertion des colonnes d’écriture devient à la fois un principe régulateur de la pratique d’écriture et un principe interprétatif pendant la pratique de lecture.

D’abord : deux colonnes. Tronqués, par le haut et par le bas, taillées aussi dans leur flanc : incises, tatouages, incrustations. Une première lecture peut faire comme si deux textes dressés, l’un contre l’autre ou l’un sans l’autre, entre eux ne communiquaient pas. Et d’une certaine façon délibérée, cela reste vrai, quant au prétexte, à l’objet, à la langue, au style, au rythme, à la loi. Une dialectique d’un côté, une galactique de l’autre, hétérogènes et cependant indiscernables dans leurs effets, parfois jusqu’à l’hallucination. Entre les deux, le battant d’un autre texte, on dirait d’une autre « logique » : aux surnoms d’obséquence, de penêtre, de stricture, de serrure, d’anthérection, de mort, etc. (Derrida, 2006).

52Deux colonnes d’écritures sont à la fois séparées et mises en relation par un blanc : à gauche Hegel, à droite Genet. En définissant la relation entre les deux colonnes d’écriture, le blanc empêche d’achever la lecture et de clôturer ainsi chaque texte : en passant par le blanc, les textes se touchent, se mélangent l’un à l’autre. La colonne de l’écriture fait passer les textes l’un sur l’autre, l’un dans l’autre : elle assure la dissémination et le déplacement des marges (Derrida, 1972a).

53Le blanc instituant les deux colonnes d’écriture est l’espace physique et logique qui déclenche le mouvement intertextuel en vue de la construction du sens. Glas se construit ainsi dans les interstices, les blancs entre les colonnes d’écriture, mais aussi les blancs qui séparent les fragments textuels à l’intérieur de chaque colonne. Glas se présente en effet « comme tertium non datur : Glas est le tiers entre Hegel et Genet ou entre Hegel et Derrida ou encore entre Genet et Derrida » (Facioni, 2006 : 18). Cet effet de transposition d’un texte dans l’autre est amplifié par l’usage des lettres minuscules au début de chaque paragraphe ou de chaque phrase : ce qui permet de passer aisément les limites des fragments textuels à l’intérieur des colonnes d’écriture.

C’est donc la colonne (...) qui garantit le déplacement des marges et le passage disséminé : Hegel, Genet, Derrida, l’un dans l’autre, l’un contre l’autre, l’un pour l’autre, sans qu’il soit possible de déterminer un prius et un incipit. Hegenet, Derridhegel, Generrida et la greffe anagrammatique pourraient se poursuivre indéfiniment, car il existe des combinaisons infinies offertes par Glas (...) comme cela arrive déjà pour la page talmudique à laquelle, de plus, l'œuvre derridienne ressemble pour plus d'une raison. (Facioni, 2006 : 14)

54Le sens de Glas se construit finalement dans les marges : entre les colonnes, entre les fragments, entre les morceaux de textes éparpillés sur la page. La page de Glas expose une pratique de l’écriture fondée sur des actions bien précises : la rupture et la conjonction, l’effraction et la greffe, ce qui oblige à envisager une limite physique et logique qui représente la séparation et son propre dépassement. Cette limite est représentée par le blanc.

55La rupture de la chaîne linguistique entraîne une interruption de la linéarité du signifiant linguistique. Cette rupture se met en place selon les deux dimensions de l’espace graphique et selon trois niveaux textuels : d’abord, le blanc partage le corps du texte en deux colonnes d’écriture qui se font face l’une l’autre : l’une à gauche, l’autre à droite, l’œuvre de Hegel face à l’œuvre de Genet ; ensuite, à l’intérieur de chaque colonne, le blanc découpe le corps du texte en morceaux : ces fragments restent (in)dépendants de tous les autres fragments disposés selon un ordre qui n’est pas dû au hasard, mais qui n’est pas rigide non plus ; enfin, le blanc coupe la chaîne linguistique en isolant des phrases, des mots ou des lettres : ce qui ouvre à l’effraction et à la greffe de textes, phrases, mots, lettres. Puisque dans la page de Glas l’espace blanc est tout d’abord un espace vide à combler de sens, la façon de combler ce vide le rend donc significatif pour lui-même. Finalement, l’espace blanc acquiert ici une valeur à la fois herméneutique et ontologique. En tant que présence d’une absence, le blanc se propose comme un vide où l’écriture elle-même s’achève. « La trace n’étant pas une présence mais le simulacre d’une présence qui se disloque, se déplace, se renvoie, n’a proprement pas lieu, l’effacement appartient à sa structure » (Derrida, 1972b : 25), la négation, l’absence, la rature [est] appartient à la structure même de la trace. Et pour mener jusqu’au bout cette théorie du langage et de l’écriture, il faut rendre visibles les stratégies adoptées par ce processus de négation, ce qui devient possible à travers la disposition des blancs, des vides, des espaces où le signe graphique en tant que trace se nie à lui-même. Le blanc inscrit sur la page une absence, introduit la contradiction du mouvement de la trace qui achève son rôle en disparaissant. Cette pratique inscrit dans l’espace graphique une contradiction : une absence devient une trace dès le moment où elle déclenche le mouvement du sens. La rature, la négation, l’absence sont des concepts fondamentaux de la théorie du langage et de l’écriture de Derrida, et ces concepts se rendent visibles dans l’espace graphique par l’introduction des blancs.

Le blanc échappe au réel. Il est une matière mentale. La surface qu’il définit peut être indifféremment interprétée comme vide – au sens où tout événement ou manifestation visuelle effective a toujours lieu en dehors d’elle (le blanc exclut par principe la trace ou la maculature : leur apparition le divise sans l’entamer) – ou pleine – puisque sa couleur est l’indice autosuffisant d’une présence impénétrable, qu’il s’agisse de la surface d’un objet ou de la luminosité de cette surface – ou encore d’une lumière « faisant surface » à sa façon, comme la flamme d’un feu ou d’une bougie. Cependant, que l’on tend à l’interpréter plutôt d’une manière ou de l’autre, le « blanc » est toujours simultanément vide et plein à la fois, signe avant-coureur d’un invisible à ce point inconcevable et dense qu’il peut être perçu comme une absence, mais aussi don de lumière total et immédiat, spectacle d’emblée absolu de tous les possibles réalisables. Telle est l’énigme. (Christin, 2009 : 8)

56La rupture de la chaîne linguistique se transforme dans la rupture des symétries de la page. C’est une rupture à la fois de la ligne de l’écriture – c’est-à-dire de la succession des signes graphiques – mais aussi de l’activité de parole – c’est-à-dire de la succession des signes phoniques – (par exemple, cou/p, seing/signe). La rupture de la ligne d’écriture sur les marges et à l’intérieur des colonnes ouvre à la possibilité de l’effraction et de la greffe, en alimentant un processus de privation des lettres dans les mots et des mots dans les propositions, ou bien un processus d’introduction de nouvelles lettres dans les mots et de nouveaux mots dans les propositions. La rupture de la ligne de l’écriture déclenche alors des processus d’interlittrage et d’interlignage, un jeu de signes qui représente le processus originaire du langage, selon Derrida.

57Les notions de rupture, dissémination et dérive (Derrida, 1972a) se rendent visibles sur la page de Glas : la rupture du corps du texte et de la chaîne linguistique permet la greffe d’un autre texte ou d’un autre signe par le biais des espaces blancs qui se présentent comme des espaces vides à combler de sens, ce qui génère un mouvement intertextuel et, par conséquent, poussé jusqu’au bout, la dissémination des signes et la dérive du sens. Une théorie du langage particulière se met en place alors dans une pratique d’écriture bien précise. Une logique de l’inter-dit et de l’intra-dit se matérialise dans les pages de Glas, en rappelant ici aussi la page du Talmud16.

58La rupture de la chaîne linguistique offre donc la possibilité de l’effraction ou de la greffe. L’espace blanc, en tant qu’espace vide, permet de construire un sens nouveau : en prélevant ou en introduisant une lettre, un mot ou un autre texte. Finalement, ce n’est pas le texte en lui-même qui ouvre à l’intertextualité, en poussant jusqu’au bout ces processus dans la « déconstruction » considérée en tant que mouvement intertextuel toujours renouvelable, et donc infini, mais c’est l’introduction du blanc en tant vide ce qui justifie le mouvement de (re/dé)construction du sens.

59La mise en page de Glas est donc une mise en abîme d’un processus à la fois théorétique et visuel. Elle révèle cette logique du renvoi d’un signifiant à l’autre, selon le mécanisme derridien de l’Écriture.

60La disposition des blancs dans la page de Glas n’est donc pas un hasard, mais un dispositif graphique bien précis qui fait sens.

61Pour finir, il faut remarquer que le livre commence avec la page numéro 7. Ce début ne suppose pas seulement les trois pages qui précédent celle du frontispice, mais aussi les pages numérotées 4, 5 et 6 dont l’absence n’est pas justifiée. Il y a peut-être alors une allusion à la notion d’origine : le livre ne commence pas à la première page qui, d’ailleurs, commence par des lettres minuscules. Et la dernière page se termine sans aucun point. En effet, les concepts d’origine et de fin sont présents aussi dans le texte à travers les notions de famille, père, signature. Le discours de Derrida est alors déjà « en-train-de » se faire : il ne commence pas ici et, surtout, il ne s’achève pas ici.

4. Conclusions

Un blanc est poétique s’il est inscrit dans le texte autant que le texte marqué par lui: s’il est lié à une syntaxe, et plutôt à une syntagmatique. Un blanc n’est pas un espace inséré dans le temps d’un texte. Il est un morceau de sa progression, la part visuelle du dire.
C’est l’enjeu de la typographie.
(H. Meschonnic, Critique du rythme, [1982] 2009, p.304)

62La pratique typographique mise en place dans les textes de Derrida rend visible ce qui dans la Grammatologie (1967) était identifié comme la rature de l’être (« est »), c’est-à-dire la négation de la présence, et donc de l’ontologie de la présence qui est au fondement du discours philosophique occidental, ce qui est le fil rouge de sa théorie du langage. Le blanc représente en effet l’irruption de la contradiction dans la relation entre théorie du texte et théorie de l’écriture : c’est l’inscription de ce qui, par principe, ne peut pas être inscrit (cf. De Angelis, 2008, 2011).

63De cette manière, notamment sur la page de Glas, l’écriture se rend visible en tant qu’écriture, en portant au premier plan aussi le texte en tant que Texte – car chez Derrida le texte est tel seulement en tant qu’écrit. La mise en abîme de l’écriture permet donc la mise en abîme du texte, et elle permet de transformer l’écriture en Ecriture et le texte en Texte. Ceci justifie le concept de Texte absolu supposant la superposition entre texte et écriture [cf. supra].

64La mise en page de Glas représente un défi continu à l’unité traditionnelle du texte : l’univocité du sens, l’univocité de l’argument, l’unité de la page, ceci à travers une pratique typographique qui met en question les critères traditionnels de la textualité. L’impossibilité de posséder le sens et le texte – ce qui se traduit par l’impossibilité d’acquérir un savoir absolu [SA] et univoque – se réalise matériellement dans cette mise en page particulière. Le sens de Glas dépend strictement de sa « syntaxe visuelle » (Christin, [1995] 2001, p. 377), c’est-à-dire des intervalles réguliers entre les signes inscrits de manière à imposer un rythme17. Une énonciation éditoriale toute particulière dépend alors d’une distribution anormale des espaces blancs, en s’achevant ainsi dans une pratique d’écriture bien précise, par laquelle se construit le lien entre mise en texte et mise en page

    Notes

  • 1 « La textologie s’est constituée comme discipline autonome dans la première décennie du pouvoir soviétique, c’est-à- dire à une époque où les acquis de l’érudition ont été appliqués à la diffusion de masse : l’art d’éditer les textes servait une révolution culturelle» (Laufer, 1972 : 5). Le terme de textologie a été proposé en effet dans les années 1920 par Boris Tomachevski, dans le sous-titre de l’ouvrage L’écrivain et le livre. Esquisse de textologie (Leningrad, 1928). Récemment un recueil sur la textologie russe a été édité par Mikhailov et Ferrer (2007).
  • 2 Cf. Lejeune (1975 : 45).
  • 3 « L'énonciation éditoriale en question », Communication & langages, n°154, 2007 ; « L’énonciation éditoriale », Semen, n°41, 2016.
  • 4 Cf. Thérenty, 2009, 2010.
  • 5 Cf. Chartier, 1988, 2015.
  • 6 « Texte veut dire Tissu ; mais alors que jusqu’ici on a toujours pris ce tissu pour un produit, un voile tout fait, derrière lequel se tient, plus ou moins caché, le sens (la vérité), nous accentuons maintenant, dans le tissu, l’idée générative que le texte se fait, se travaille à travers un entrelacs perpétuel ; perdu dans ce tissu – cette texture – le sujet s’y défait, telle une araignée qui se dissoudrait elle-même dans les sécrétions constructives de sa toile. Si nous aimions les néologismes, nous pourrions définir la théorie du texte comme une hyphologie (hyphos, c’est le tissu et la toile d’araignée). » (Barthes, 1973b : 85- 86).
  • 7 Cf. la section consacrée au blanc sur le site de la BNF, « L’aventure des écritures », sur la poétique du blanc : 
  • 8 Ceci se fait en choisissant la valeur des quatre blancs qui délimitent le cadre : le blanc de tête, c’est-à-dire la marge supérieure, comprenant la distance entre le bord supérieur du papier et le haut du texte ; le blanc de pied, c’est-à-dire la marge inférieure, comprenant la distance entre le bord inférieur du papier et le bas du texte (ou des notes en bas de page, dans le cas des essais scientifiques) ; le blanc de grand fond, c’est-à-dire la marge extérieure (à droite pour le recto de la feuille, impair ; à gauche pour le verso de la feuille, pair) ; le blanc de petit fond, ou blanc de couture, c’est-à-dire la marge intérieure (à gauche du recto de la feuille ; à droite du verso de la feuille).
  • 9 La déesse de l’enfer, fille de Démeter et de Zeus, épouse de Hadès qui l’enlève à sa mère pour son extrême beauté.
  • 10 L’insecte.
  • 11 Cf. De Angelis, 2011.
  • 12 Cf. Ouaknin, 1986.
  • 13 Cf. Szilágyi, 2009 ; Benoteau-Alexandre, 2011.
  • 14 « Dans la biographie monumentale consacrée à Genet, Edmund White raconte que l'idée de composer Glas sur une double colonne d'écriture est venue à Derrida après avoir lu l'essai de Genet consacré à Rembrandt, et publié en 1967 sur Tel Quel sous la forme de deux textes sur deux colonnes parallèles » (Facioni, 2006 : 13, nous traduisons). C’est probablement pour cette raison que la colonne d’écriture consacrée à Genet s’ouvre avec une référence, qui est une citation, à l'essai mentionné: « ‘ce qui est resté d’un Rembrandt déchiré en petit carrés bien réguliers, et foutu aux chiottes’ se devise en deux » (Derrida, 1974 : 7).
  • 15 Cf. R. De Angelis, 2011.
  • 16 Cf. Ouaknin, 1986.
  • 17 « Ce que je voudrais souligner pour ma part est que la syntaxe de ces figures est assurée dans ces premières images par les intervalles qui à la fois les séparent et les unissent sur la surface où elles sont inscrites. Ces intervalles sont eux aussi des figures, mais il s’agit de figures particulières et qui pourraient même passer inaperçues, car elles sont exclusivement impliquées dans une appréciation de l’espace - à contempler ou à parcourir - étrangère au code narratif ou à toute autre fiction d’origine langagière. Leur rôle est de faire en sorte que le regard du spectateur, passant d’un motif à l’autre, s’interroge sur leurs relations et que, tâchant de deviner la portée de leur association, il finisse par s’en rendre maître. » (Christin, 2007 : 16-17)

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Détails de la publication

Publié dans:

Lefebvre Julie, Testenoire Pierre-Yves (2019) Blancs de l'écrit, blancs de l'écriture. Linguistique de l’écrit Special Issue 1.

Paragraphes: 92

DOI: 10.19079/lde.2019.1.4

Citation complète:

De Angelis Rossana, 2019, L'usage des blancs typographiques: Tympan (1972) et Glas (1974) de Jacques Derrida. Linguistique de l’écrit 1, Blancs de l'écrit, blancs de l'écriture, §§ 4 (1-92). https://doi.org/10.19079/lde.2019.1.4.