Linguistique de l’écrit

Revue internationale en libre accès

Conference | Intervention

Dimension phonographique et sémiographique dans les pratiques orthographiques d'adultes en difficultés à l'écrit

Jeanne Conseil

mercredi 4 décembre 2019

13:30 - 14:15

Un diagnostic des difficultés des adultes résidant en France métropolitaine a été réalisé par l’INSEE en 2004 puis en 2011 à partir d’un protocole conçu en collaboration avec des équipes universitaires. L’enquête IVQ, portant sur l’usage de l’Information dans la Vie Quotidienne, a ainsi été conçue pour évaluer les compétences en littéracie et en numératie à l’échelle nationale (et notamment quantifier le phénomène de l’illettrisme). Au cours de cette enquête IVQ, les personnes interrogées ont eu à réaliser une série de tâches, proches de celles rencontrées dans la vie quotidienne et notamment une tâche de «production écrite» pour tester leurs compétences en écriture. Près de 2000 personnes ont ainsi produit une liste de courses à destination d’un livreur. Il s’agit en fait d’une dictée de mots et de pseudo-mots. Nous n’évoquerons pas ici les limites de cette évaluation et soulignerons simplement l’opportunité qu’offre ce corpus de décrire les pratiques orthographiques des adultes en difficulté à l’écrit.

Les résultats de l’enquête confirment en effet la grande hétérogénéité du public d’adultes en difficulté, aussi bien d’un point de vue social que de celui de leurs difficultés face à l’écrit. Lucci & Millet (1994) ont montré que, dans des productions de scripteurs «ordinaires», les écarts orthographiques relèvent davantage d’écarts dans la zone sémiographique de notre système plutôt que dans la zone phonographique. Ce constat est à nuancer lorsqu’il s’agit des pratiques spécifiques d’adultes en difficulté à l’écrit. Les graphies recueillies dans notre corpus invitent effectivement à travailler ces deux rapports – phonographie et sémiographie – ensemble. Nous proposons ainsi de décrire les pratiques orthographiques recueillies dans le cadre de l’enquête IVQ en insistant sur le fait qu’il y a de la sémiographie partout dans les productions des adultes en difficulté à l’écrit et que c’est d’ailleurs là la limite du système de N.Catach selon nous : ce n’est pas parce qu’un graphème est un phonogramme qu’il ne peut pas avoir de fonctionnement sémiographique.

De nombreux exemples dans notre corpus attestent de la dimension sémiographique de notre écriture et permettent de mieux comprendre la logique de l’écart. Beaucoup d’écarts ne sont que «visuels» (çerise, thomate, frômage, etc. par exemple), comme c’est le cas dans les corpus de l’étude de Lucci et Millet (1994) mais d’autres ont quant à eux un impact sur la phonographie (parmacie, fharmacie, parmachie, ati-hrume, fiancais, solenel par exemple). Pour comprendre la logique de l’écart, ces différentes graphies demandent à être interprétées au regard de la dimension sémiographique. La graphie parmacie par exemple ne peut être analysée qu’en terme d’écart de type phonographique et doit intégrer la dimension sémiographique du mot pharmacie, souvent vu sur les enseignes des officines. Ici, la dimension sémiographique de notre écriture entre en conflit avec la représentation que le scripteur a de la phonographie de notre système (Fayol et Jaffré, 2008) : par exemple, un adulte illettré explique hésiter entre farmacie et pharmacie parce que, dans sa représentation /f/ se transcrit avec le graphème ‘f’ (et non ‘ph’) mais «sur les magasins [il] voi[t] des: des P d` temps en temps donc euh .t ((rires)) c'est une lettre qui [lui] parle». La procédure orthographique appelle ici le ‘p’ tandis que la procédure phonographique appelle le ‘f’. La communication insistera donc sur le rôle de la sémiographie dans notre écriture et sur l’importance de la prendre en compte pour proposer un modèle de description des pratiques orthographiques spécifiques des adultes en difficulté à l’écrit.